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Affaire Karachi : l'audition de douze hommes en colère

Nouvelle étape dans l'enquête sur l'attentat de Karachi. Les survivants commencent à être entendus par les policiers aujourd'hui. 15 morts dont 11 Français, c'est le bilan de ce crime au Pakistan. Il a eu lieu le 8 Mai 2002.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Près de 10 ans plus tard, on ne connaît toujours pas la vérité. Le bus emmenait des employés de la Direction des Constructions Navales, la DCN. 12 passagers ont survécu. 12 salariés de DCN. Ils souffrent tous du syndrome du survivant. Cette douleur permanente, cette culpabilité, cette question entêtante, pourquoi ai-je survécu ? Pourquoi moi et pas les autres ? Les autres, ce sont leurs collègues, leurs amis. S'ajoute à cette douleur la conviction insupportable que l'on a joué avec leurs vies.

"Tous les matins, vous pensez aux gens qui sont morts"

Claude Etasse était technicien chargé de la logistique. Comme les autres, il a pris place dans ce bus pour aller travailler. Jusqu'à l'explosion qui le hante encore aujourd'hui. "Tous les matins, vous pensez aux gens qui sont morts, dit il dans un sanglot. J’espère bien que la Justice va passer que l’on connaîtra au moins une partie de la vérité".

Tous ces survivants n’avaient été entendus qu’une fois seulement, à leur retour en France et sur des lits d'hôpital. Depuis, plus rien.
Ces hommes étaient à Karachi pour des missions de six semaines généralement. Six semaines à l'hôtel, loin de chez eux.

La France avait vendu trois sous-marins au Pakistan pour 825 millions d'euros avec des transferts de compétences. Ces transferts de compétence, c'était eux. Ils formaient les techniciens Pakistanais. DCN était informé qu'il y avait un risque terroriste.

On le sait avec certitude depuis un peu plus de 3 ans. Depuis la publication par Mediapart du rapport Nautilus, une enquête commandée par la DCN et rédigée par un ancien agent du contre espionnage. Il consigne les nombreuses alertes reçues par l'entreprise publique avant l'attentat mortel de Karachi.
Les alertes qui prouvaient que la situation au Pakistan devenait dangereuse. En particulier, pour les Français.

"A l’époque, j’avais une confiance aveugle en mon entreprise"

Ce 8 mai 2002, Frédéric Labat, mécanicien usineur, monte dans le bus pour aller travailler sur le sous marin. "Le bus vient nous chercher à heure fixe à l’hôtel à 8 heures. Il y a un garde armé dans le bus, se souvient-il. Toujours le même chemin, toujours le même garde, c’était immuable. C’était le même parcours depuis des mois. C’est fou ! Je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas pris des mesures… A l’époque, j’avais une confiance aveugle en mon entreprise. Je me disais : si vraiment il y a du danger, ils ne vont pas nous laisser là quand même. Et si ! Il y avait du danger, ils le savaient et ils nous ont laissés…"

Frédéric Labat travaille encore actuellement à la direction des constructions navales à Cherbourg. Il fait la part des choses "sinon je deviens fou ", dit il.

Gilles Sanson lui est un tout jeune pré-retraité.Les images de cette matinée restent gravées dans son esprit. Il connaît le dossier sur le bout des doigts. Cette affaire, c'est devenu une obsession.  Et il ne comprend pas que l'Etat ne lève pas immédiatement le secret défense quand le juge le demande.

"Cette affaire, c’est une grande trahison"

Ce dossier devient très sensible à l'approche de l'élection présidentielle. Car l'une des pistes qui pourrait expliquer cet attentat mène au financement, par des rétro comissions, de la campagne d'Edouard Balladur en 1995. Un candidat dont le porte-parole était Nicolas Sarkozy. "J’ai beaucoup de mal à entendre les politiques qui disent que l’on instrumentalise le dossier, s’agace Gilles Sanson. Que ces gens-là reviennent un peu en arrière ! Qu’ils se tournent vers DCN qui était 100% étatique ! Qu’ils leur demandent pourquoi ils n’ont pas donné le document Nautilus en 2002 ! S’ils l’avaient fait, nous ne serions pas en train de parler de tout ça actuellement. Que l’on ne vienne pas reprocher ça aux victimes ! Cette affaire, c’est une grande trahison de l’employeur et de l’Etat. "

L'enquête sur le volet financier de l'affaire serait sous la menace de demandes d'annulation, selon le Journal du Dimanche. Les avocats de l'homme d'affaires Ziad Takkiedine et de Nicolas Bazire, proche collaborateur d'Edouard Balladur à l'époque, auraient déposé il y a quelques jours des requêtes en nullité. Des erreurs de procédure auraient été commises selon eux.

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