La Belgique fait un tabac
Giuseppe vit à Lille, dans le quartier qu'il décrit comme le
plus pauvre de la ville. Il est attablé dans sa cuisine. Devant lui, un seau en
plastique rempli de 400 grammes
de tabac, une machine blanche en métal dotée d'une poignée et des petits tubes
blancs avec un filtre. Il va préparer sa consommation quotidienne. Ce gros
fumeur grille plus de 40 cigarettes chaque jour. "Je prends un peu de
tabac que je mets dans la machine", décrit-il, joignant le geste à la parole. "Je
place mon tube dans un embout prévu à cet effet... " Il tire sur la
manette et voilà une cigarette identique à celles que l'on trouve dans le
commerce. Pas tout à fait identique :
"Le coût de revient d'une telle cigarette, c'est 5
centimes au lieu de 27 centimes chez un débitant." (Giuseppe)
S'il achetait aujourd'hui ses cigarettes en France, Giuseppe
paierait 13 euros par jour. Actuellement, son poison préféré lui coûte deux
euros quotidiennement. Chaque mois, il dépense donc 60 euros pour se noyer dans
la fumée, au tarif français, ce serait près de 400 euros.
La solution miracle, il l'a trouvée de l'autre côté de la
frontière. Comme beaucoup de fumeurs de la région, c'est en Belgique qu'il a
acheté sa propre machine à fabriquer des cigarettes. Un investissement de 40 euros largement remboursé depuis. C'est sur la commune belge de Menin qu'il se fournit aussi
en seaux remplis tabac. Cette petite ville est posée sur la frontière. Ici, on
ne croise presque que des Français.
"Ils composent 90 % de ma clientèle", explique
Virginie Breille, propriétaire d'une des boutiques historiques de la commune. "En 2003, lorsqu'il y a eu une augmentation des prix en France, il n'y avait que
quatre boutiques ici. Aujourd'hui, nous sommes 32. Le week-end, il y a un monde fou,
les gens en profitent pour faire leurs courses. Ils achètent aussi du chocolat
et des fleurs. Les affaires marchent bien. "
"Je dépense moins en tabac aujourd'hui qu'il y a 20 ans"
Installée ici depuis 1980, Virginie a vu la ville de Menin
se métamorphoser. Des enseignes tabac partout et des plaques d'immatriculation
françaises qui circulent sans cesse. Il y a même un bus qui fait la liaison
entre Lille et Menin. Un bus rempli de fumeurs qui en 30 minutes viennent
acheter leurs cigarettes. Ce tabac à un prix défiant toute concurrence, c'est
le même qu'en France, seul le prix change. Le tabac est exactement le même.
Et les cigarettes vides que l'on remplit avec sa machine
sont même estampillées de la marque de votre choix. Rigoureusement la même
chose que ce que l'on trouve chez les débitants français.
Sauf que ça revient, en moyenne, six à sept fois moins cher.
D'ailleurs, dans la ville française d'Halluin juste en face de Menin la belge,
il n'y a plus aucun débitant de tabac. Giuseppe, lui, vient de Lille deux fois
par mois pour acheter un seau. Il fume depuis 20 ans. Il a vu les prix flamber
côté français. Il ne pourrait d'ailleurs pas fumer autant s'il achetait ses
cigarettes en bas de chez lui. "Depuis que je fume, mon budget tabac a
réduit", s'étonne-t-il . "Je dépense moins aujourd'hui qu'il y a 20 ans. Le tabac
m'emportera, je le sais très bien mais comme ce n'est pas cher, ça m'incite à
consommer. "
Un salon de coiffure et une boulangerie, remplacés par un tabac
Les prix augmentent en France, pour Giuseppe, ça ne va rien
changer mais pour ceux qui achètent leurs cigarettes sur le sol Français, ce
sera 20 centimes de plus par paquet et 50 centimes pour le tabac à rouler.
C'est bon pour les affaires des boutiques de Menin. Elles auront du mal à
vendre encore plus. Le week-end, il est compliqué de se faire une place sur le
trottoir tant il y a de monde.
Les voitures arrivent du Nord, du Pas-de-Calais,
de la Somme..."Cette nouvelle hausse des tarifs ne va faire
qu'accroître le phénomène", d'après Frédéric, il est salarié d'une boucherie de
Menin, il est Français mais c'est ici qu'il a trouvé du travail . "Il y aura
encore plus de monde par chez nous. A la frontière, il n'y a pas de douanes.
Ils contrôlent une voiture sur 50, une voiture sur 100. Et encore, quand ils
sont là... "
Menin, comme beaucoup d'autres communes belges frontalières,
est devenue la ville du tabac, envahie par les Français. Pas évident non plus à
gérer pour cette petite ville qui voit ses commerces de proximité fermer les
uns après les autres. Récemment un salon de coiffure et une boulangerie ont
définitivement tiré le rideau. Remplacés par des vendeurs de tabac.
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