Attaque terroriste à Arras : le traitement éditorial sur franceinfo
On commence avec cette question d'un auditeur de franceinfo, posée à Emmanuelle Daviet, la médiatrice des antennes de Radio France : "Fidèle auditeur de franceinfo, je suis étonné que certains journalistes emploient le terme de 'principal suspect', pour qualifier l’auteur du meurtre du professeur d’Arras, et d’autres journalistes disent "assassin présumé".
Emmanuelle Daviet : Pourquoi cette précaution sémantique de la part de certains journalistes alors que le fait est avéré ?
Florent Guyotat, directeur adjoint de la rédaction de franceinfo : C’est une remarque pertinente de la part des auditeurs. Il faut comprendre que même si on parle de faits d’une gravité extrême, qui nous choquent tous lorsque les faits surviennent le vendredi 13 octobre, en fin de matinée, les informations qui nous parviennent sont d’abord parcellaires. C’est pour ça que nous nous efforçons, comme toujours, même si nous sommes à ce moment précis en édition spéciale, de rester prudents. Nous savons, à ce moment-là, qu’un homme a été arrêté, qu’il est vivant. Mais nous avons des informations incomplètes sur le déroulement des actes, et c’est pour cela que nous préférons à ce moment précis, parler de 'principal suspect'.
Ensuite, au fur et à mesure que les heures passent, les informations qui nous parviennent sont plus précises et nous employons alors volontairement le terme d’assassinat. Assassinat, c’est un terme qui n’est pas neutre. Évidemment, ça implique un meurtre avec préméditation. Un terme qui apparaît d’ailleurs lors de la conférence de presse du procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, que nous diffusons le vendredi 13 octobre, juste avant 20h.
Jean-François Ricard, procureur national antiterroriste : "Vers 11 h ce matin, le dénommé Mohamed M. né en Russie en 2003, s’est présenté devant le lycée Gambetta à Arras. Il a alors frappé avec un couteau un enseignant, qui se trouvait devant cet établissement. Le parquet national antiterroriste s’est saisi de ces actes, sous les qualifications suivantes : assassinat en relation avec une entreprise terroriste, puis tentative d’assassinat, en relation avec une entreprise terroriste, et enfin association de malfaiteurs terroristes, criminelle."
Emmanuelle Daviet : Alors, je rebondis sur cet extrait, puisque nous avons également reçu des messages sur l’identité de ces hommes. Voici le courriel d’une auditrice :
"Je suis soucieuse de la qualité de l’information. En écoutant franceinfo, j’ai remarqué que pour parler de l’individu ayant commis l’assassinat du professeur de français à Arras, vos journalistes donnaient son prénom, et juste après, la première lettre de son nom de famille. Pourquoi ne pas donner toute son identité ? Pourriez-vous m’expliquer la raison de ce choix éditorial ? Je voudrais comprendre comment cela contribue à une couverture médiatique informative."
Florent Guyotat : Au départ, c’est vrai, on ne donne que la première lettre, l’initiale du nom de famille. Là aussi, il s’agit d’une précaution, d’une mesure de prudence. On connaît très vite, à la rédaction de franceinfo, le nom de famille complet, comme d’autres médias d’ailleurs. Mais on sait qu’il y a des investigations, des arrestations qui sont en cours. On ne veut pas gêner le travail de la police et de la justice, et c’est pour ça que dans un premier temps, on ne donne que l’initiale. Ensuite, encore une fois, au fur et à mesure que les heures passent, on donne le nom de famille complet. C’est une décision que nous prenons en pleine connaissance de cause.
On termine avec cette question : Comment assurez-vous l’équilibre entre l’obligation d’informer le public sur les actes terroristes, et la nécessité de ne pas contribuer à la glorification des auteurs de ces actes, on sait que le terrorisme intègre une dimension médiatique, que les terroristes utilisent les médias comme caisse de résonance à leurs actes ? Comment procédez-vous ?
Vous avez raison de parler d’équilibre. C’est vraiment très important pour nous. Il faut d’abord évoquer le parcours du terroriste. C’est pour ça que nous sommes allés voir, par exemple, une voisine du logement dans lequel il habitait, et qui nous a raconté comment ce jeune homme s’est progressivement radicalisé, et comment même, il maltraitait sa propre mère.
Après, vous avez raison, il n’est pas question du tout de mettre sur le même plan le terroriste et ses victimes. Et c’est la raison pour laquelle, jeudi dernier, nous avons organisé une édition spéciale longue de près de deux heures, consacrée aux obsèques du professeur Dominique Bernard, en insistant vraiment sur les hommages qui lui étaient rendus. J’ai choisi un extrait du reportage de notre envoyé spécial à Arras, Valentin Dunate.
Extrait du reportage de Valentin Dunate du jeudi 19 octobre 2023 : "Cette cérémonie, c’était surtout l’occasion de parler de cet homme de 57 ans, père de trois enfants, avec un moment marquant, puissant et digne. Quand sa femme a pris le temps de citer ce qu’aimait Dominique Bernard. La littérature, évidemment, Julien Gracq, Balzac, Proust, Céline, la poésie, René Char, Mallarmé, la philosophie, le cinéma, Truffaut, Orson Welles, Pedro Almodovar. Elle a décrit les paysages de Toscane, les senteurs de la Provence et a rajouté ceci : Il n’aimait pas l’informatique et les réseaux sociaux. Le téléphone, il n’en avait même pas. Il n’aimait pas le bruit et la fureur du monde. Il aimait profondément ses filles, sa mère et sa sœur. Nous nous aimions."
Florent Guyotat : Et là encore, nous essayons de trouver la bonne mesure entre, d’un côté, la nécessité de parler du parcours d’un terroriste pour cerner le processus de radicalisation et de l’autre, de ne pas mettre évidemment le terroriste et ses victimes sur le même plan. C’est la raison pour laquelle nous avons accordé une très large place à cet hommage.
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