Le rendez-vous de la médiatrice. Le traitement éditorial sur franceinfo du bug informatique dans l'éducation nationale
Des bugs informatiques pour l'école à distance ? Cette semaine, un ministre qui s'explique et beaucoup de réactions d'auditeurs à ce sujet.
Auditeurs de franceinfo, vous réagissez et vous pouvez nous poser vos questions. On y répond avec la médiatrice des antennes de Radio France, Emmanuelle Daviet. Nous sommes aussi aujourd'hui avec Alexis Morel, spécialiste éducation à franceinfo.
Emmanuelle Daviet : On commence avec ce premier message d’un auditeur : "Ce mardi 6 avril, les outils numériques de l’Education nationale ont quasiment tous planté. Jean Michel Blanquer a désigné des coupables : OVH (le PDG a d’ailleurs réfuté dans la journée) et des hackers pour la plateforme "ma classe à la maison" du CNED. Or il est évident, d’une part que rien n’a été préparé, les services numériques ne supportent pas la charge, et d’autre part que l’hypothèse des hackers est évidemment farfelue et permet de botter en touche. Pourquoi votre rédaction relaie-t-elle le propos de Jean-Michel Blanquer, sans faire un travail journalistique de vérification et de recherche de crédibilité dans les propos du ministre ?"
Alexis Morel, quelles réponses pouvez-vous apporter à des auditeurs nombreux à nous avoir écrit à ce sujet ?
Alexis Morel : Alors, ce qu’on peut expliquer, c’est qu’il y a plusieurs temps dans le traitement de cette information. Très vite, quand on voit que les bugs se multiplient, Jean-Michel Blanquer réagit, évoque des attaques informatiques apparemment venues de l’étranger contre le CNED. Il pointe aussi la responsabilité, en effet, de cet hébergeur. On diffuse ces propos du ministre dans un premier temps, tout en les citant, c’est-à-dire en prenant nos précautions, en disant "selon le ministre", "selon Jean-Michel Blanquer", ce qui signifie qu’on ne prend pas ça pour argent comptant. Mais évidemment, on les diffuse parce qu’ils ne sont pas anodins. Ils émanent du ministre de l’Education nationale, donc ils ont un intérêt informatif.
Mais on ne s’est pas arrêté là du tout. Très vite, le patron de cet hébergeur de serveurs, OVH, réfute toute responsabilité, dément ces accusations. Et bien, on en parle dès 14h10 sur franceinfo, on le cite. Puis ensuite, dans la soirée aussi. Et ensuite, on fait ce travail de vérification, notamment pour le lendemain matin avec mon collègue Boris Loumagne qui, mercredi à 8h, questionne et remet en cause les affirmations du ministre sur l’hébergement, sur les serveurs, sur les attaques informatiques prétendument venues de l’étranger.
Emmanuelle Daviet : On poursuit avec ce message : "Vos journalistes n’ont fait que relayer la parole de Jean-Michel Blanquer. Aucun contrepoint à la parole de ce dernier n’a été proposé. Cela me semble peu professionnel."
Alexis Morel, pour traiter avec équilibre un tel dossier, à qui avez-vous choisi de donner la parole ?
Je ne crois pas qu’on ait relayé que la parole du ministre. Ce n’était qu’un interlocuteur parmi d’autres sur notre antenne pendant ces journées de mardi et de mercredi. Très vite, on a mis à l’antenne des témoignages d’élèves, d’enseignants, de syndicalistes qui racontaient la galère face aux plateformes en rade et surtout, qui dénonçaient aussi l’impréparation, le manque d’anticipation du ministère. Ça, c’était le SNES qui disait dans un reportage à l’antenne.
Je repense aussi, pour être très concret, à cette principale de collège qui nous a raconté dès mardi soir à l’antenne son dépit, sa colère d’avoir tout préparé et que tout ça soit en rade. Elle disait dans son témoignage : "On avait demandé si les serveurs allaient tenir bon, on nous avait assuré qu’ils tiendraient." Voilà donc ça, c’est un témoignage qu’on a entendu dès mardi soir. Je crois que jamais il n’a été affirmé à l’antenne que tout ce fiasco était principalement lié ou uniquement lié à des attaques informatiques. On a vite aussi raconté la surcharge des serveurs.
Emmanuelle Daviet : Au delà de témoignages des parents ou des personnels de l’Education nationale, y a-t-il eu d’autres experts ou des spécialistes pour décrypter ce dossier sur l’antenne ?
Alexis Morel : Alors, on a invité mercredi matin la responsable d’un des principaux éditeurs de plateformes numériques éducatives. Ces propos ont d’ailleurs fait réagir beaucoup d’enseignants parce qu’elle expliquait qu’il fallait aussi revoir dans les établissements l’organisation de l’enseignement à distance. Ça a énervé beaucoup d’enseignants.
Et puis, on a eu le décryptage précieux aussi de notre spécialiste "nouvelles technologies", Jérôme Colombain, qui a expliqué ce qui avait pu se passer, pourquoi les serveurs étaient sans doute sous dimensionnés. Ça, c’est une expertise que moi, je ne peux pas avoir en tant que spécialiste éducation. Donc c’était intéressant qu’on l’entende. En quoi une cyberattaque contre le CNED était plus ou moins plausible ? Etc.
Emmanuelle Daviet : En quoi relayer la parole du ministre de l’Education nationale durant cette période de pandémie est un exercice délicat ou difficile ?
Alexis Morel : C’est une question très importante parce que c’est un reproche qui nous est fait souvent : "Vous relayez la parole du ministre telle quelle"… C’est un reproche qu’on nous fait souvent. Donc, il faut l’entendre. Ce qui est complexe pour nous, journalistes éducation, c’est que la parole du ministre finalement, elle a un double statut, en particulier depuis le début de cette crise. D’abord, elle a un statut un peu institutionnel, voire serviciel. C’est-à-dire, c’est lui qui va annoncer une partie des changements de protocoles à l’école. Et ça, ça concerne un million de personnels, 12 millions d’élèves. Donc, on se doit de relayer les annonces pratiques, si je puis dire.
Mais cette parole ministérielle, c’est aussi une parole politique qui a un intérêt, un agenda politique propre. Donc, on doit aussi, dans le même temps, la prendre évidemment avec beaucoup de distance, avec du recul, qui y ait le Covid ou pas, d’ailleurs. Et puis, l’autre difficulté pour finir, sur laquelle il faut qu’on fasse très attention, c’est l’effet d’annonce et le décalage souvent entre les annonces et le terrain. Ça, on l’a vécu à plusieurs reprises. Une annonce faite par le ministre, mais qui met du temps à se concrétiser. Typiquement, dernièrement, les tests antigéniques, les tests salivaires.
Le ministère nous annonce un jour de lancement, mais le jour en question, il y a seulement quelques établissements qui sont concernés et la très grande majorité des enseignants et des élèves n’en voient pas la couleur tout de suite, voire pas du tout. Et ça, il faut qu’on en ait conscience, évidemment, et qu’on le dise à l’antenne. Et on essaye de dire que oui, cette campagne de tests, par exemple, elle existe, mais qu’elle n’existe pas partout, et qu’elle a du mal à se déployer,etc. que ce n’est pas une réalité sur tout le territoire.
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