Le traitement éditorial de la Marche contre l’antisémitisme
Après la Marche contre l'antisémitisme du 12 novembre dernier, et l'édition spéciale de franceinfo, de nombreux auditeurs (et auditrices) ont interpellé la médiatrice de Radio France, Emmanuelle Daviet. Celle-ci relaye les questions auprès de Florent Guyotat, directeur adjoint de la rédaction de franceinfo.
Emmanuelle Daviet : Une auditrice m'a écrit ceci : "Dans les infos, dimanche dernier, il y a eu plusieurs minutes consacrées à la manifestation contre l’antisémitisme organisée par l’Assemblée nationale et le Sénat et je me suis vraiment demandée quelles forces entraient en jeu pour que la radio soit aussi intensément le relais de communication de nos hommes et femmes politiques. Quel est le choix éditorial éclairé derrière cette décision de donner autant de place à cet événement ? Je ne suis, sur le fond, ni pour ni contre cette manifestation, mais je suis persuadée qu’elle n’est l’actualité du week-end que parce que les médias choisissent qu’elle le soit. Aussi, je cherche à comprendre ce qui fonde votre choix". Pourquoi cette manifestation a-t-elle bénéficié d’une telle exposition sur l’antenne, avec une édition spéciale ?
Florent Guyotat : Cette auditrice parle de choix et effectivement, c’est délibéré de notre part d’accorder une place importante à l’antenne à cet événement. Nous sommes dans une démocratie représentative en France avec des élus du peuple. Or, on a vu que les deux présidents de chambre, Yaël Braun-Pivet pour l’Assemblée nationale et Gérard Larcher pour le Sénat, tous deux issus de deux partis différents, appelaient en commun à cette manifestation. C’est un événement rare qui mérite d’être souligné, qui est important. On a vu également que le principal parti d’opposition, le Rassemblement National, s’est joint au cortège, même si sa présence, on l’a beaucoup dit, n’était pas souhaitée par d’autres partis. On avait également des partis de gauche comme le Parti socialiste, Europe Ecologie Les Verts, qui appelaient à ce rassemblement, à cette marche. On a vu aussi d'anciens premiers ministres et les deux anciens présidents de la République, Nicolas Sarkozy et François Hollande, en tête de cortège. Bref, c’est un événement politique rare d’avoir autant de personnalités politiques qui marchent dans la rue en même temps. Voilà pourquoi nous assumons totalement l'édition spéciale.
L'ampleur de la manifestation vous a-t-elle aussi incité à une telle couverture d'antenne ?
En effet. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, il y a eu dans toute la France, à Paris, mais aussi dans les rassemblements en région, 182 000 personnes qui ont manifesté. C’est beaucoup pour des événements organisés en cinq jours seulement, puisque l’appel datait de la semaine dernière. Ces chiffres se rapprochaient des 200 000 personnes comptabilisées en 1990 lors de la manifestation déclenchée après la profanation du cimetière juif de Carpentras.
Quels étaient les enjeux journalistiques entourant la couverture de cet événement organisé par des hommes et des femmes politiques ?
L’enjeu était d’entendre ce qu’avaient à dire ces responsables politiques. Mais on tenait aussi à laisser place à une autre parole, celle des simples citoyens présents en nombre. Notre reporter Farida Nouar avait une mission bien précise : réaliser des interviews en direct de personnes interrogées au hasard . En voici par exemple un extrait :
"- Bonjour Annette. Annette qui a un petit drapeau français. Annette, vous avez des problèmes de santé mais vous êtes là quand même ?
- Oui c’est important. On ne pouvait pas ne pas être là aujourd’hui. Quand j’étais jeune, et comme beaucoup de gens de ma génération, on a toujours été frappé par ce qui s’est passé avec les Allemands, le génocide et on se dit mais comment ils ont pu leur faire ça ? Et puis là, ce qui s’est passé avec l’attaque du Hamas, on n’arrive pas à comprendre."
Parole donnée donc à de simples citoyens sur franceinfo. On s’est aussi efforcé de ne pas être présent qu'à Paris. Nous avions des correspondants du réseau France Bleu en région pour faire vivre les rassemblements partout en France.
Des auditeurs souhaitent justement savoir quelles ont été les conditions de travail des journalistes dans les cortèges ?
Dans la manifestation parisienne, et dans la grande majorité des cas et des interviews, cela s’est très bien passé avec des échanges cordiaux entre nos journalistes et les manifestants. Il faut cependant admettre que quelques situations ont été plus tendues, notamment lorsque notre reporter Valentin Dunate est arrivé dans une zone où il y avait des manifestants, parfois masqués, qui scandaient des slogans "Israël vivra, Israël vaincra". Valentin Dunate a été pris à partie et sommé tout simplement de s’en aller : "Vas-y, dégage ! Je te dis de dégager, c’est mieux..." Voilà des invectives et des intimidations qui ne sont pas acceptables pour un reporter qui fait simplement son métier, qui vient simplement là pour décrire des faits et pour entendre ce que les manifestants ont à dire.
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