Le rendez-vous du particulier. Les abus du démarcharge à domicile des fournisseurs d'énergie
Le facteur sonne toujours deux fois, mais pour certains démarcheurs, ce serait plutôt cinquante !
Vous avez peut-être reçu la visite de sous-traitants, mandatés par des fournisseurs d'électricité ou de gaz, des commerciaux très insistants : attention aux abus. Certains sont prêts à tout pour vous vendre un contrat - et les plaintes se multiplient. Pascal Frasnetti signe une enquête sur ce thème dans le mensuel Le Particulier.
franceinfo : Ce sont des abus largement répandus ?
Pascal Frasnetti : Alors ce n’est pas l’essentiel du démarchage à domicile, mais on constate une recrudescence récente des plaintes sur le secteur, 4 fois plus nombreuses en 2018 qu’en 2016. Sur le seul premier semestre 2019, la médiation nationale de l’Énergie a enregistré près de 900 litiges. Et ces agissements concernent toujours les mêmes professionnels : plus de 70% des litiges sont le fait de deux fournisseurs : Engie et Eni.
On est face à des démarcheurs qui sont prêts à tout ? Ça se concrétise comment ?
Prêts à tout, en effet. Rappelons l’enjeu : pousser la porte de votre domicile pour obtenir votre signature afin de changer de fournisseur d’énergie. Or, les démarcheurs sont payés à la commission, donc ils ont tout intérêt à vous convaincre.
Tous les arguments sont bons, certains stratagèmes peuvent prêter à sourire : comme ce témoignage d’un particulier qui raconte que le démarcheur s’est présenté pour soi-disant installer un boîtier sur toutes les prises électriques du domicile pour lui éviter la hausse des tarifs de l’électricité. Plus souvent, les commerciaux mentent sur leurs attributions, parfois en se faisant passer pour un agent du réseau, en prétextant par exemple venir relever le compteuren. En gros ils affirment se déplacer pour une formalité administrative alors qu’ils agissent bien sûr dans un but commercial : on parle donc de pratiques commerciales déloyales ou trompeuses.
Pire : dans certains cas, on a même des situations d’abus de faiblesse auprès de personnes âgées : alors certains fournisseurs interdisent désormais de faire signer un contrat à un client de plus de 75 ans, mais là encore des démarcheurs trouvent la parade, parfois en intimant au client de mentir sur sa date de naissance !
Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans les tarifs de l’énergie
Oui, c’est vrai que les Français méconnaissent souvent les tarifs de l’énergie et ne regardent pas toujours leur facture de près, ils peuvent donc être des cibles faciles pour des démarcheurs peu scrupuleux.
On parle de pratiques isolées qui sont du fait de sous-traitants, ou c’est une politique mise en place délibérément par les fournisseurs d’énergie ?
Alors pour le savoir, il faut attendre les conclusions de l’enquête en cours de la DGCCRF – la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Le 27 juin dernier, elle a lancé une vaste perquisition auprès de 13 entreprises du secteur sur 16 sites différents. Elle va justement chercher à savoir s’il s’agit d’une politique délibérée de la part des fournisseurs, qui sont les donneurs d’ordre auprès de leurs sous-traitants.
Si les faits étaient avérés, alors les fournisseurs risquent des sanctions très élevées : jusqu’à 10% du chiffre d’affaires de l’entreprise et des peines de 2 ans de prison pour ses dirigeants et même jusqu’à 3 ans en cas d’abus de faiblesse.
Comment en est-on arrivé là ?
Rappelons que depuis l’ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l’électricité en 2007, les fournisseurs alternatifs n’ont pas encore pris la place qu’on imaginait : 22% de parts de marché sur l’électricité, 29% sur le gaz. Mais pour rivaliser avec les fournisseurs historiques, les nouveaux entrants se font connaître à coup de publicité mais également par le démarchage. Alors le démarchage à domicile est plus coûteux que celui par téléphone, mais il est aussi plus efficace.
La bonne vieille méthode du porte-à-porte reste un bon moyen pour conquérir la clientèle, notamment pour toucher des zones rurales. Et puis, bien sûr, jusque-là, les vendeurs sont payés à la commission, ils ont donc une forte pression pour faire signer les clients, parfois jusqu’à une dizaine par jour.
Quel conseils peut-on donner aux particuliers ?
D’abord s’assurer du sérieux du démarcheur. Il porte généralement sur lui une carte siglée de l’entreprise qui le mandate. Ensuite comparer la proposition avec sa facture actuelle et notamment le prix TTC annuel de l’offre : il existe en effet un piège qui consiste à proposer une mensualité faible pendant 11 mois puis, le 12e mois, vous recevez une dernière facture de régulation au montant très élevé, et dans ce cas, le client ne découvre la supercherie qu’au bout d’un an.
Et puis, dernier conseil : ne pas montrer sa facture au démarcheur, car il peut alors facilement recopier le numéro d’identification de votre logement, permettant la résiliation de votre contrat d’énergie. Il ne manquera alors plus qu’une signature.
Aujourd’hui, les autorités ne veulent plus laisser passer ?
Exactement, elles ont mis le temps, ces pratiques sont dénoncées par le médiateur de l’Énergie depuis plusieurs années. Avec le lancement de l’enquête de la DGCCRF, il semblerait que les pouvoirs publics prennent enfin la mesure du problème…
Ces fournisseurs prennent-ils des mesures face à la menace de sanctions ?
C’est le cas chez Engie ou Total Direct Energie. Parmi les mesures, ces deux entreprises exigent désormais que leurs sous-traitants rémunèrent les vendeurs avec un minimum de salaire fixe, elles forment aussi les démarcheurs avec un examen de passage obligatoire pour obtenir la carte d’accréditation.
Dans le cas d’Engie, l’entreprise passe désormais systématiquement un appel de conformité au client pour vérifier si la vente s’est bien passée et si le démarcheur a bien respecté les règles.
Quant à Total Direct Energie, le process de vente a été revu en avril dernier : désormais, ce n’est plus le démarcheur à domicile qui finalise le dossier : le futur client doit appeler une plate-forme pour valider sa signature et ainsi le fournisseur vérifie la conformité de la vente.
Il y a déjà eu des condamnations dans ce type d’affaires ?
Oui, la justice a déjà prononcé des sanctions. En mars dernier, Engie a été condamnée à verser 1 million d’euros à EDF pour ses pratiques de démarchage abusives. Le tribunal a considéré qu’Engie avait connu des lacunes dans le suivi de sa campagne de démarchage.
Si on a signé le contrat, on peut faire quelque chose, ou c’est trop tard ?
Non, il existe une possibilité de s’en sortir. D’abord, en cas de démarchage à domicile, le client dispose d’un délai de 14 jours pour se rétracter à partir du lendemain de la signature. Passé ce délai, il faut savoir qu’un contrat de gaz ou d’électricité est résiliable à tout moment sans frais, les contrats d’énergie pour les particuliers ne comportant pas de durée d’engagement.
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