Justice : 4 000 affaires criminelles attendent-elles d'être jugées en France ?

Le procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz a alerté sur le manque de moyens dans la justice, dénonçant l'allongement des délais avant de juger les affaires criminelles.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Salle d'audience du tribunal de Lyon, le 15 septembre 2014 (JEFF PACHOUD / AFP)

"Nous allons dans le mur", a alerté Rémy Heitz, jeudi 9 janvier sur franceinfo. Le procureur général près la Cour de cassation a réclamé le recrutement de 1 500 magistrats et d'encore plus de greffiers, alors que la France n'a toujours pas de budget pour l'année 2025. "Aujourd'hui, nous avons 4 000 affaires sur le territoire en attente d'être jugées par les juridictions criminelles. Ce chiffre, il était de 2 000 il y a cinq ans", a-t-il regretté.

Forte augmentation des affaires criminelles en cinq ans

Le chiffre avancé par Rémy Heitz peut être retrouvé dans le rapport Références Statistiques Justice publié en 2024 avec des chiffres pour l'année 2023. Précisément, 3 968 affaires criminelles attendaient toujours d'être jugées à la fin de l'année 2023, contre 2 204 à la fin de l'année 2019, cinq années auparavant.

Il est important de distinguer, néanmoins, la première et la deuxième instance. Plus de 80% des affaires criminelles attendent un premier procès devant une cour d'assises ou une cour criminelle, soit 3 346 affaires. Une minorité – 622 – de dossiers attend un procès en appel. L'augmentation du stock d'affaires en cours est largement due à un embouteillage dans les cours d'assises et les cours criminelles, dont le stock a doublé en cinq ans, alors que celui des cours d'assises d'appel a légèrement augmenté.

La justice criminelle est frappée par un "paradoxe" que le rapport Rendre justice aux citoyens, issu des états généraux de la justice et publié en avril 2022, a relevé. En 2023, les cours d'assises ont rendu 2 999 arrêts – en première instance ou en appel – soit quasiment autant que les 2 984 arrêts rendus en 2005, 20 ans plus tôt. En 2019, le nombre de décisions rendues par les cours d'assises avait même baissé d'un quart par rapport à 2005, alors que le nombre de dossiers arrivant dans ces juridictions avait quant à lui augmenté de 17%.

Le rapport expliquait alors que "si le nombre de dossiers [avait] diminué, le nombre de jours des sessions d’assises a augmenté, démontrant ainsi la complexification des affaires jugées".

Plus de quatre ans d'attente avant un procès criminel

La conséquence directe de cette accumulation de dossiers dans les juridictions criminelles est l'augmentation des délais de la justice. "Les délais augmentent, ils ne sont pas maîtrisés", a déploré Rémy Heitz, rappelant que le risque est "la remise en liberté de personnes présentant des profils dangereux".

Selon l'annexe 30 au projet de loi de finances 2023, consacrée à la justice, les délais pour être jugé aux assises se sont, en effet, allongés ces dernières années. Ils ont atteint 49,4 mois en 2021, contre 47 mois en 2020. Ces délais se sont allongés de 15 mois entre 2005 et 2021, selon le rapport Rendre justice aux citoyens. Autrement dit, en 2005, une affaire criminelle mettait moins de trois ans à passer devant une cour d'assises, alors qu'elle mettait plus de quatre ans en 2021. 

Notons néanmoins que les délais sont plus rapides quand il s'agit de juger les délits dans les tribunaux correctionnels. Neuf mois d'attente en moyenne en 2023, selon le rapport "Références Statistiques Justice", entre le moment où les forces de l'ordre ou la justice ont connaissance d'une infraction et le premier jugement sur le fond du dossier.

Néanmoins, il s'agit d'une moyenne. Cela peut être bien plus rapide quand il s'agit de comparution immédiate et bien plus lent quand il s'agit d'affaires renvoyées au tribunal par un juge d'instruction. Il faut attendre plus de quatre ans en moyenne pour que les délits les plus graves soient jugés. Une durée qui a aussi augmenté ces dernières années puisqu'elle s'élevait plutôt à trois ans en 2013 pour ce genre de délit. En résumé : plus l'infraction est grave, plus elle est complexe, plus elle met du temps à être jugée.

Seules exceptions à cette règle : les dossiers qui aboutissent à des classements sans suite. Une affaire qui n'aboutira pas à un procès peut mettre encore plus de temps à être clôturée.

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