Le vrai du faux. Les photos d'enfants postées sur les réseaux par leurs parents se retrouvent-elles sur des sites pédopornographiques ?
L'Assemblée nationale a voté à l'unanimité, lundi 6 mars, la proposition de loi du député Renaissance Bruno Studer pour protéger le droit à l'image des enfants sur internet, notamment contre le "sharenting" – contraction de "share", partager en anglais, et "parenting", élever. L'élu veut sensibiliser les parents aux risques de détournement de leurs photos, en partie par des sites pédopornographiques. "Au moment où un enfant a la possibilité de s'inscrire sur un réseau social, il y a déjà 1 300 images de lui qui existent. (…) On estime que la moitié des images que l'on retrouve sur les forums pédopornographiques sont au départ partagées par les parents eux-mêmes avec des vues innocentes", explique-t-il dans une vidéo diffusée sur Twitter.
« Depuis 2018, nous sommes engagés sur la protection du droit à l’image des enfants. Nous allons encore plus loin. »
— Les Députés Renaissance (@DeputesRE) March 6, 2023
Avec la proposition de loi portée par Bruno Studer, notre groupe souhaite que la vie privée des plus jeunes soit mieux respectée sur Internet pic.twitter.com/MTGBeuFfoo
71 photos et 29 vidéos par an
Les chiffres que convoque Bruno Studer sont tirés de deux sources différentes. Le premier provient d'une étude de l'agence britannique Opinium pour la société britannique qui gère les noms de domaine Nominet. En janvier 2018, l'agence a fait un sondage auprès d'un panel représentatif de 2 001 parents habitants au Royaume-Uni ayant des enfants de 0 à 13 ans, et elle a conclu que ces parents partageaient en moyenne 71 photos et 29 vidéos par an de leurs enfants à partir de leur naissance sur leurs réseaux sociaux personnels mais souvent accessibles au public. Cela fait 100 images différentes par an, donc bien 1 300 images de ces enfants sur internet à leur 13e anniversaire, l'âge auquel il est possible de s'inscrire sur les réseaux sociaux.
Cette étude est depuis reprise aussi bien par le bureau du commissaire à l'enfance au Royaume-Uni que par le député français, voire plusieurs associations pour la protection de l'enfance, elle fait donc référence sur le sujet.
Néanmoins, les chiffres datant de cinq ans, il est possible que les usages des parents aient changé sur les réseaux sociaux, pour le meilleur comme pour le pire. D'un côté, les réseaux se développent de plus en plus et la diffusion d'images est devenue prégnante dans notre société, mais d'un autre côté, l'étude de Nominet et Opinium estimait que les parents partageaient moins d'images de leurs enfants en 2018 (100 dans l'année) que deux années auparavant (299 en 2016). "Cela peut résulter du fait que les parents sont de plus en plus conscients de trop partager de photos, ou alors ils sont passés à des messages privés en groupe comme sur WhatsApp", concluait-elle.
Des photos innocentes sur des sites pédopornographiques
Sur le deuxième point, Bruno Studer a raison de dire que la moitié des photos et vidéos qui circulent sur des forums pédopornographiques étaient au départ des images publiées innocemment par des parents sur leurs réseaux sociaux personnels. Néanmoins, là aussi, les chiffres commencent à dater un peu. L'estimation provient d'une enquête du bureau du commissaire chargé de la protection de l'enfance sur internet en Australie en 2015. Les enquêteurs avaient alors retrouvé 45 millions d'images d'enfants sur un site pédopornographique dont "environ la moitié s'est révélé provenir des réseaux sociaux". Ils ont trouvé des dossiers de photos appelés "enfants à la plage", "garçons jouant dans une rivière", "gymnastes", ou même "les amies de ma fille sur Instagram".
La proportion d'images récupérées par ce type de sites est signalée régulièrement par les défenseurs des enfants. Dans un rapport rendu en novembre 2022, le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (Cofrade) assure que "Europol et Interpol ont alerté dès 2020 sur la multiplication d’échanges pédocriminels en ligne et la prévalence des contenus autoproduits par les jeunes eux-mêmes ou leur entourage".
Une loi pour sensibiliser les parents… et les sanctionner
Si elle ne peut pas empêcher les sites pédopornographiques de récupérer les photos et vidéos postées par les parents, la proposition de loi de Bruno Studer, qui doit à présent être examinée par le Sénat, cherche à sensibiliser les parents et à leur rappeler qu'ils doivent respecter le droit à l'image de leurs enfants. Mais la proposition de loi crée aussi une sanction pour les parents qui vont trop loin, sans préciser les limites exactes. Le texte prévoit qu'ils peuvent se voir imposer une délégation partielle de leur autorité parentale "si la diffusion de l’image de l’enfant par ses deux parents porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale".
Par ces mots, Bruno Studer vise surtout les parents qui diffusent en permanence des images de leurs enfants notamment dans des "vlogs" familiaux, ces vidéos où des parents racontent leurs vacances ou leur vie de famille en mettant en scène leurs enfants. Il vise aussi les "pranks", les blagues douteuses de parents qui piègent leurs enfants, comme celle de l'influenceuse Jessica Thivenin qui a diffusé une vidéo dans laquelle elle fait croire à son fils qu'elle lui étale des excréments sur le visage alors qu'il s'agit en réalité de chocolat. L'enfant est en larmes, elle lui demande si c'est une bonne blague. Réponse : non.
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