Les jihadistes français peuvent-ils être jugés en France pour des crimes commis à l’étranger ?
La ministre de la Justice a récemment évoqué l’hypothèse d’un rapatriement des jihadistes français détenus en Syrie par les Kurdes. Mais pour Jordan Bardella, c'est juridiquement impossible. Il a tort.
La ministre de la Justice Nicole Belloubet a évoqué, samedi 11 décembre dans une entretien à Libération, l’hypothèse du rapatriement des jihadistes français détenus en Syrie par les Kurdes. Pour le vice-président du Rassemblement national, Jordan Bardella, ce serait une "aberration juridique". "Vous ne pouvez pas être jugé sur le territoire français pour des crimes et délits que vous avez commis à l’étranger", a déclaré le député européen. "Il est évident que des gens qui reviendraient sur territoire français seraient condamnés à des années dérisoires de prison pour association de malfaiteurs et seraient remis dans nos rues", a-t-il déclaré sur France Inter lundi 13 janvier.
Jordan Bardella a-t-il raison de dénoncer une "aberration juridique" ? La Cellule vrai du faux décrypte l'affirmation du député européen.
La justice française peut juger les crimes des jihadistes
D’un point de vue général, la France peut juger les crimes et délits que des Français ont commis à l’étranger, sous conditions."D’abord, il y a la compétence traditionnelle pour les ressortissants français qui agissent à l’étranger", explique Didier Rebut, professeur de droit pénal et de procédure pénale à l’université Paris II Panthéon Assas.
En 2012, une seconde compétence a été créée, spécifique au terrorisme. "Elle donne une compétence de principe pour tous les actes de terrorisme commis par les Français ou résidents français à l’étranger", précise le professeur Rebut. Il ajoute que la loi a fait suite aux assassinats terroristes commis par Mohammed Merah en mars 2012. L’article 113-13 du Code pénal prévoit que "la loi pénale française s'applique aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français".
La France a donc "une légitimité particulière mais elle ne prime pas sur la légitimité de l’Etat territorial", souligne Didier Rebut. Le procureur de la République est habilité à déclencher lui-même les poursuites, quelle que soit la position de l’État étranger. "La France n’a pas l’obligation de les juger mais peut le faire", précise-t-il. Depuis les attentats perpétrés en France en 2015, tous les Français partis en zone irako-syrienne sont systématiquement judiciarisés. Ils font l’objet d’une enquête judiciaire et d’un mandat d’arrêt ou de recherche.
Des crimes compliqués à prouver devant la justice française
Si la justice française est compétente, il persiste des problématiques pratiques. Il faut rapporter la preuve des faits commis à l’étranger. "Par hypothèse, ces faits n’ont pas eu lieu sur le territoire français. Les preuves sont à l’étranger, les victimes, témoins sont à l’étranger et on peut avoir de vrais difficultés à prouver ce que ces ressortissants ont fait. Aujourd’hui, les jihadistes ne s’affichent plus avec les cadavres des gens qu’ils ont tué."
Pour le spécialiste, le danger principal reste un risque d’acquittement : "On peut les condamner pour toutes les infractions qualifiées de terroristes par le code pénal, attentats, destructions, meurtres, enlèvements mais il faut en avoir la preuve." Parce qu'elle englobe de nombreux cas de figure, l’infraction souvent utilisée en France contre des jihadistes est l’association de malfaiteur criminelle en lien avec une entreprise terroriste. On retient généralement ce chef d’accusation car "c’est le crime le plus facile à prouver", explique Didier Rebut.
Depuis la loi de 2016, pour les crimes terroristes punis de la réclusion criminelle à perpétuité, la cour d’assises peut porter la période de sûreté à 30 ans ou décider qu’aucune des mesures d’aménagement de peines ne sera possible si elle prononce effectivement la réclusion à perpétuité.
Après le suivi judiciaire, un suivi administratif
Les problématiques sécuritaires sont au cœur du débat, et notamment liées au risque de récidive et à la radicalisation des condmanés. Une fois jugés, "comment on les gère en prison, comment on gère leur dangerosité face aux gardiens de prison, face à la société…", pointe Didier Rebut. Concrètement, une fois la peine purgée, "on sort du droit pénal, pour passer au droit de la sécurité intérieure, un droit administratif".
Un débat complexe à l’heure où les premiers jihadistes français condamnés sont sur le point de sortir de prison. L’exemple le plus récent concerne le jihadiste Flavien Moreau, condamné à son retour de Syrie en 2013, à 7 ans de prison ferme le 13 novembre 2014, pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme" et libéré.
Mais il n'a pas bénéficié de "sortie sèche". Toujours considéré comme dangereux, il va faire l'objet d'une surveillance judiciaire pendant onze mois et dix-huit jours à compter de sa libération. Au suivi judiciaire, s'ajoutera un suivi administratif avec des obligations et restrictions (déplacements, assignation résidence...). Inscrit au fichier inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT), Flavien Moreau continuera aussi à être surveillé par les services de renseignements le temps nécessaire.
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