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Vrai ou faux
Guerre en Ukraine : Bonduelle a-t-elle fourni des boîtes de conserve de légumes aux soldats russes ?

L'entreprise française dément, mais elle reconnaît que sa filiale en Russie approvisionne la Banque alimentaire locale, qui a déjà distribué des colis aux militaires mobilisés sur le front.
Article rédigé par franceinfo - Pauline Lecouvé et Mathilde Bouquerel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des boites de conserves de légumes de la marque Bonduelle. (Sébastien JARRY / MAXPPP)

Des boîtes de conserve de maïs et de petits-pois Bonduelle accompagnées d'un message en russe  : "Cher soldat ! Bonne année ! Nous vous souhaitons le meilleur et une victoire rapide !" Les photos partagées sur les réseaux sociaux, vendredi 30 décembre, ont mis le feu aux poudres. Déjà critiquée pour la poursuite de ses activités en Russie, alors que de nombreuses entreprises occidentales ont quitté le pays à la suite de l'invasion de l'Ukraine, voilà désormais l'entreprise française accusée de fournir ses conserves de légumes aux soldats russes qui combattent les troupes ukrainiennes.

Certains internautes prennent même en photo des produits de la marque jetés à la poubelle, avec le slogan : "#BoycottBonduelle". Le fabricant français de conserves alimente-t-il les militaires russes sur le front ukrainien ?

Le message et les photos à l'origine de la polémique ont été publiés le 30 décembre sur le réseau social russe VKontact, sur la page Yartsevo Live, qui publie des actualités locales sur la ville de Yartsevo, située à 300 kilomètres à l'ouest de Moscou. Ce post a été rapidement supprimé, mais il reste consultable sur le site internet Archive*. Contactés par franceinfo, les administrateurs de la page Yartsevo Live ont préféré ne faire aucun commentaire. Quant à Bonduelle, l'entreprise assure ne pas les avoir contactés.

Le message publié affirmait que Bonduelle avait fourni des colis alimentaires pour quelque 10  000 bénéficiaires qui prennent part à l'"Opération militaire spéciale" (l'appellation choisie par le Kremlin pour désigner la guerre en Ukraine). Deux photos accompagnaient ce post. Sur la seconde, les boîtes de conserve sont tenues par une personne vêtue d'un pantalon de camouflage et d'une marinière blanc et bleu, un telnyashka. Une tenue typique de l'uniforme russe. Impossible cependant d'affirmer qu'il s'agit bien d'un soldat russe. Aucune information n'est, en outre, fournie quant au lieu ou à la date à laquelle la photo a été prise.

Bonduelle se dit "victime d'une 'fake news'"

Dans ce post, les auteurs attribuaient également à l'entreprise française une position de soutien à l'armée russe. "L'entreprise elle-même a déclaré que le soutien de nos défenseurs fait partie intégrante de la responsabilité sociale de l'entreprise", était-il écrit. La publication de Yartsevo Live citait aussi Ekaterina Eliseeva, directrice de Bonduelle Eurasie, la filiale de l'entreprise française en Russie. Les auteurs du post lui prêtaient cette déclaration : "Les souhaits de victoire rapide sont désormais tout aussi importants que le paquet de nourriture lui-même." 

Bonduelle n'a pas tardé à réagir. Dans un communiqué publié sur Twitter samedi 31 décembre, le groupe "dément les informations diffusées à son sujet sur les réseaux sociaux russes". "Les informations ainsi que les déclarations attribuées à la société Bonduelle et sa direction sont totalement fausses", assure le communiqué.

Contactée par franceinfo, Bonduelle déclare être "victime d'une 'fake news'". "Les citations attribuées à Ekaterina Eliseeva sont 'fake', le packaging sur la photo est 'fake'", se défend l'entreprise. "Ce n'est pas notre présentation, ce n'est pas comme ça qu'on fait. Nous ne faisons pas ce type de packaging", assure le groupe.

L'entreprise se défend par ailleurs des critiques quant à sa décision de maintenir son activité en Russie. Ce choix a "pour seul objectif d'assurer l'accès de la population aux denrées alimentaires essentielles", argue-t-elle. Bonduelle possède actuellement trois usines actives en Russie, à Novotitarovskaya, Timashevsk et Shebekino, selon son site internet russe, bonduelle.ru* . Trois villes proches de la frontière ukrainienne.

Certains internautes pointent du doigt le passé de la dirigeante de Bonduelle en Russie. Dans une interview donnée à l'édition russe du  magazine Forbes*  en 2019, on apprend que Ekaterina Eliseeva a suivi des études de traduction à l'académie du FSB, les services de renseignement russes, dont elle est sortie diplômée en 1995. Bonduelle précise à franceinfo qu'il s'agit d'une formation dans une école militaire, mais assure que Ekaterina Eliseeva "n'a jamais exercé dans l'armée ou travaillé pour les services secrets".

Des "paniers de la bonté" détournés ?

Alors, si l'entreprise dit vrai, et à supposer que la photo soit authentique, comment des conserves Bonduelle auraient-elles pu se retrouver dans les mains des soldats russes ? Des internautes pointent du doigt l'opération "Paniers de la bonté", à laquelle Bonduelle participe, comme de nombreuses autres entreprises en Russie. Le 21 décembre, Bonduelle Russie faisait d'ailleurs la promotion de cette opération de charité sur sa chaîne Telegram* .

Bonduelle confirme auprès de franceinfo qu'elle participe "tous les ans" à l'opération "Paniers de la bonté", mais que celle-ci "n'a aucun lien avec l'armée russe". "Il s'agit d'une donation de conserves à la Banque alimentaire russe, qui organise ces collectes", fait valoir le groupe. Dans le post de Bonduelle sur sa chaîne Telegram, on peut effectivement lire que cette opération a été lancée "en 2015" par "la Banque alimentaire russe" et que celle-ci vise "à fournir aux personnes socialement vulnérables un ensemble de produits de base".

Toutefois, des posts sur les réseaux sociaux russes*, ainsi que des articles dans la presse russe*, rapportent que les collectes organisées dans le cadre de l'opération "Paniers de la bonté" ont aussi servi à recueillir des cadeaux de Nouvel An pour les soldats russes mobilisés en Ukraine. Bonduelle reconnaît ne pas pouvoir être catégorique sur la destination que prennent ses boîtes de conserve une fois données à la Banque alimentaire russe. "On donne les conserves à la Banque alimentaire russe, après, c'est elle qui s'occupe de la distribution. On ne sait pas tracer les conserves une fois qu'elles ont été données."

* Tous ces liens renvoient vers des contenus en russe.

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