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Vrai ou faux
Guerre Israël-Hamas : le droit international autorise-t-il Israël à faire une "opération ciblée" dans l'hôpital al-Chifa ?
L'hôpital al-Chifa, le plus grand de Gaza, est depuis plusieurs jours au cœur de la guerre entre les soldats israéliens et les combattants du Hamas, plus d'un mois après l'attaque terroriste visant l'État hébreu et le début de la riposte israélienne. Cela a culminé mercredi 15 novembre, quand Israël a lancé ce que l'État hébreu appelle "une opération ciblée" dans cet hôpital.
De quoi alimenter un débat qui fait rage sur les réseaux sociaux et sur certains plateaux télé. Les réponses sous le message du compte Caisses de grève, suivi par des dizaines de milliers de personnes sur le réseau social X, en est un exemple. Caisses de grève partage un extrait de l'émission L'Heure des pros de CNews, dans laquelle l'éditorialiste politique Vincent Hervouët affirme que "les Conventions de Genève autorisent les belligérants à viser des hôpitaux quand ceux-ci servent à l'ennemi pour se dissimuler".
"Le Hamas a installé le champ de bataille au milieu des lits des hôpitaux.
— Caisses de grève (@caissesdegreve) November 13, 2023
Les Conventions de Genève autorisent les belligérants a viser les hôpitaux, quand ceux-ci servent à l'ennemi pour se dissimuler" pic.twitter.com/3hJENoWZCs
Caisses de grève demande aux autres internautes si c'est vrai. Cécile Duflot, la directrice général d'Oxfam France, répond que "c'est faux", convoquant l'article 18 de la Convention de Genève. Ce à quoi l'avocat Mickaël Chemla lui répond à son tour : "Vous ne pouvez citer un principe sans citer l'exception qui se trouve juste après." Ce même débat se répète sans fin depuis plusieurs jours sur X. Alors, qu'en est-il vraiment ?
La Convention de Genève protège les hôpitaux contre les attaques…
Les deux camps ont raison en réalité et se basent sur deux articles de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
Ceux qui disent qu'Israël ne respecte pas le droit international s'appuient, comme Cécile Duflot, sur l'article 18 de cette convention. Il stipule que "les hôpitaux civils organisés pour donner des soins aux blessés, aux malades, aux infirmes et aux femmes en couches ne pourront, en aucune circonstance, être l'objet d'attaques ; ils seront, en tout temps, respectés et protégés par les parties au conflit".
Les belligérants doivent, autant que possible, rendre ces hôpitaux visibles à leurs ennemis pour qu'ils ne soient pas visés. Ils ne doivent pas non plus installer d'objectifs militaires à proximité, "dans toute la mesure du possible".
… sauf quand les hôpitaux sont utilisés pour "commettre des actes nuisibles à l'ennemi"
Mais, l'article 19 de la Convention de Genève vient aussitôt après donner une exception à cette règle, expliquant dans quelles conditions la protection des hôpitaux évoquées à l'article 18 est levée. "La protection due aux hôpitaux civils ne pourra cesser que s'il en est fait usage pour commettre, en dehors des devoirs humanitaires, des actes nuisibles à l'ennemi", précise la convention.
Les "actes nuisibles à l'ennemi" ne sont ni définis ni détaillés dans le texte. La Convention de Genève ne fait que préciser ce qui ne peut pas être considéré comme de tels actes : le fait de porter une arme légère individuelle pour défendre les malades, le fait que l'établissement soit gardé par des hommes en arme, ou le fait que des combattants blessés y soient soignés.
Dans une note publiée le 6 novembre dernier, le Comité international de la Croix Rouge estime cependant que "la raison de la perte de cette protection est claire" et en liste des exemples. Lorsque les établissements de santé "sont utilisés pour interférer directement ou indirectement dans les opérations militaires et, de ce fait, nuire à l'ennemi, la raison d'être de cette protection disparaît. C'est notamment le cas lorsqu'un hôpital est utilisé comme base de lancement d'une attaque, poste d'observation servant à transmettre des informations d'intérêt militaire, dépôt d'armes, centre de liaison avec des troupes armées, ou encore pour abriter des combattants valides".
L'exception prévue par le droit n'est pas un blanc-seing
Néanmoins, la cheffe du service juridique du CICR, Cordula Droege, explique dans une vidéo publiée sur X que ces exceptions ne sont pas un blanc-seing. D'abord, il y a des règles à respecter. Avant d'attaquer un hôpital, il faut d'abord vérifier factuellement, preuves à l'appui, qu'il est bien utilisé militairement par la partie adverse. Si c'est le cas, il faut alors donner un avertissement pour que la partie adverse cesse de l'utiliser ou, si elle ne cesse pas, pour évacuer les patients et le personnel médical.
Les hôpitaux bénéficient d'une protection particulière en vertu du droit international humanitaire en raison de la fonction vitale pour les blessés et les malades.@CDroegeICRC, Chef du Service juridique du CICR, nous l’explique. 👇 pic.twitter.com/omCkc9MNsT
— CICR (@CICR_fr) November 6, 2023
Cordula Droege rappelle que, "en vertu du droit humanitaire international, toute attaque est soumise aux principes de proportionnalité et de précaution. Cela signifie que la partie au conflit doit prendre les mesures nécessaires pour éviter ou minimiser les dommages causés aux patients et au personnel médical".
"En vertu du principe de proportionnalité, la partie doit se demander si les morts, les blessures et les destructions causées par cette opération ne sont pas excessives par rapport à l'avantage militaire concret et direct recherché. Lorsqu'un hôpital se trouve dans une zone de combat, les dommages aux services de santé ne se limitent généralement pas au court terme, mais ont aussi des effets à moyen et long terme. En situation de conflit, les services de santé sont essentiels en raison du grand nombre de blessés et de malades", souligne-t-elle.
Israël veut prouver qu'il respecte le droit international
La connaissance du droit international permet de mieux comprendre la communication d'Israël autour de son "opération ciblée" dans l'hôpital al-Chifa. Par exemple, l'État hébreu avait prévenu de ses intentions. Pour le général Dominique Trinquand, interviewé par franceinfo mercredi, "c'est une façon de dire qu'il respecte les lois de la guerre et qu'il prévient les populations civiles pour qu'elles ne soient pas sous les coups de Tsahal" (l'armée israélienne).
C'est l'une des raisons pour lesquelles Israël n'a de cesse de répéter que le Hamas utilise cet hôpital à des fins militaires ou encore qu'il est important pour l'État hébreu de le prouver en affirmant avoir trouvé "des munitions, des armes et des équipements militaires" du Hamas dans cet établissement de santé, images à l'appui. Pour prouver aussi que le Hamas enfreint le droit international en utilisant cet hôpital. Ce que le Hamas, lui, dément fermement.
Mais seule une enquête indépendante pourra dire si ces images sont vraies, si le Hamas a bien utilisé cet hôpital – ou les autres qui ont été ciblés par l'armée israélienne avant, comme le tout proche hôpital pédiatrique al-Rantissi dans lequel les soldats israéliens sont entrés lundi 13 novembre et où ils disent avoir trouvé un sous-sol sécurisé servant de "centre de commandement et de contrôle du Hamas" ainsi que des armes, voire des preuves que le Hamas y a détenu des otages – et donc si l'opération israélienne respecte le droit international.
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