La Grèce : une addition d’intérêts privés
Thomais Papaioannou, journaliste grecque, correspondante de la radio-télévision grecque ERT, évoque aujourd'hui dans Micro européen, l’actualité de son pays, la réélection du Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis, conservateur. La Grèce, ce sont aussi trois partis d'extrême droite, une gauche qui ne va pas très bien, un pays qui a été touché par les incendies, les inondations, par le typhon, avec des problèmes sociaux comme la réforme du travail.
franceinfo : Les Grecs étaient dans la rue et ils sont toujours dans la rue, et en plus, il y a le ras le bol du tourisme ?
Thomais Papaioannou : Exactement, c'est malheureusement la réalité morose. Le pays ne va pas très bien, on l'a tous vu cet été. Un État qui n'a pas fonctionné, n'a pas su protéger les citoyens.On voit que les partis restent comme vous les avez décrits, c’est-à-dire la majorité à la droite classique. Ensuite, nous avons Syriza, la gauche, avec le chef Alexis Tsipras, qui a démissionné, et a donné le relais à un jeune ambitieux, un trader de chez Goldman Sachs, Stéfanos Kasselákis. Un très beau gosse, les médias l'adorent, mais on ne sait toujours pas quel est son programme.
Une gauche malade…
Une gauche malade, avec un peuple malade dans ses choix en général, malade d'une crise économique qui continue, malgré les apparences, malade de l'inflation et de la vie très chère en Grèce. Pour des salaires de 500, 600 euros, l'électricité, les aliments sont beaucoup plus chers qu'en France, c'était encore inimaginable, il n'y a pas 10 ans.
L'état n'a pas été présent pour les feux de forêt. Après les inondations, ça a été le typhon. Mais est-ce que les Grecs veulent prendre leur destin en main ?
Le pays n'a pas su protéger les habitants. Apparemment, quand on voit les résultats des inondations, des incendies, qui se répètent tous les étés, rien n'est fait, rien ne bouge, et aux élections, on vote toujours, localement, mais on voit toujours les mêmes personnes, peu importe les erreurs, peu importe les comportements de certains. Et ça pose question.
C'est toujours le clientélisme ?
Oui, le pays est construit comme ça. Son ADN, c'est le clientélisme. C'est un pays du Sud. L'État n'a jamais été fort en Grèce, n'a jamais été présent, ne peut pas l’être. C'est une addition d'intérêts privés.
Et l'autre phénomène, c'est le ras le bol des touristes ?
L'autre phénomène, c'est vraiment l'hyper tourisme. C'est du jamais vu. Et je comprends que les Espagnols, les Portugais, les Italiens, les Grecs vivent des étés avec un doublement de leur population, sur les îles des Cyclades par exemple, non seulement, c'est très cher, mais ce n'est plus les Cyclades, avec les grandes croisières qui arrivent, 40 bateaux devant Santorin, avec 400 passagers minimum, par bateau, vous imaginez que c'est intenable, question ressource d'eau avant tout, il n'y a plus d'eau sur les îles grecques.
Il n'y a plus d'agriculture, parce que tous les terrains sont vendus aux étrangers, ou pour construire de petites maisons à deux étages, pour louer les chambres ou du Airbnb, il n’y a plus de plaisir, de dépaysement. Même la nourriture, et ça, c'est vraiment pour moi un énorme gâchis. La nourriture grecque, comme l'italienne, une des plus grandes gastronomies au monde, avec aussi la cuisine française, n'a plus lieu d'être en Grèce ; on a importé des exotismes à la japonaise, à l'américaine, fast food, burger. Et on a vu tout doucement disparaître cette délicieuse nourriture méditerranéenne, le régime crétois, que tout le monde connaît.
Là, vous allez aux Cyclades, ou vous allez à Majorque ou au Portugal, vous allez trouver exactement les mêmes hôtels, exactement les mêmes services, exactement la même musique, le même comportement, les mêmes chaises longues pour que les précieux touristes s'allongent, et passent toute la journée à manger des tapas qui ne ressemblent à rien, ou des gaufres, à la belge, en Grèce.
Conclusion, pour la Grèce ?
Moi, je pense que ce n'est pas vraiment un problème grec, c'est un problème européen. Quelque part, on a perdu notre identité, on ne sait pas où on va. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard que le commissaire pour la qualité de vie européenne, littéralement, c'est ça son titre, c'est un Grec, Margaritis Schinas. Alors voilà un défi pour Margaritis Schinas, c'est faire quelque chose pour faire valoir les identités européennes, pas une identité, mais les identités européennes, les sauvegarder autant que l'on peut.
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