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L’Arménie, la France et l'Europe

Valérie Toranian, directrice de "La Revue des Deux Mondes", est de retour d'Arménie, plus d'un mois après les attaques illégales de ce pays, les 13 et 14 septembre derniers, par l'Azerbaïdjan. "Le monde nous a oubliés", disent les Arméniens. Ils demandent la protection de la France. 

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Arménie, la guerre des deux jours. Photographie prise le 26 septembre 2022, à l'entrée du village de Sotk, au nord-est du pays, bombardé par les azéris entre le 12 et 14 septembre 2022 - 1000 obus seraient tombés. (CHRIS HUBY / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Micro européen reçoit Valérie Toranian, la directrice de La Revue des Deux Mondes, de retour de reportage en Arménie, après l'attaque de ce pays par l'Azerbaïdjan, il y a plus d'un mois. 

franceinfo : Vous étiez en Arménie, qu'avez-vous constaté dans ce pays aujourd'hui ?

Valérie Toranian : L'Arménie, ce pays qui vient d'être attaqué d'une manière tout à fait illégale, selon les règles du droit international, les 13 et 14 septembre par l'Azerbaïdjan, vit dans l'angoisse, dans l'angoisse, parce que cette attaque, qui a été arrêtée assez vite, pourrait se traduire par d'autres offensives militaires. Aujourd'hui, l'Azerbaïdjan a attaqué l'Arménie dans son territoire souverain, et occupe 50 kilomètres carrés, ils sont en train de fortifier leurs positions. Ils ont tiré sur des habitations civiles. Il n'y a aucun enjeu stratégique dans cette partie de l'Arménie. C'est le sud de l'Arménie.

Et aujourd'hui, la question qui se pose est une question existentielle. Elle est simple. Est-ce que les Arméniens qui habitent sur ces terres depuis des siècles, qui ont déjà été massacrés lors du génocide de 1915 - c'était il y a 100 ans - est-ce que ces Arméniens, à la fois du territoire du Haut-Karabakh, est-ce que ces Arméniens du territoire même de l'Arménie, ont encore le droit de vivre sur leur terre ou pas ? Parce que le plan turco-azéri, lorsqu'on regarde une carte, il est simple. C'est-à-dire que l'Arménie, c'est un tout petit verrou qui est coincé entre, à l'est, l'Azerbaïdjan, à l'ouest, la Turquie. Et là, pour créer ce grand espace turcique, ce panturquisme qui relierait du Bosphore jusqu'à l'Asie centrale, tous ces peuples turcophones, et bien c'est le grand projet d’Erdogan.

Donc la question, c'est celle-là. Je vois des gens qui sont en survie, qui ont été bombardés, qui se sont réfugiés dans des grottes, qui ne sont pas armés, qui sont abandonnés du monde entier.

Qui vous disent : "Le monde nous a oubliés"…

"Le monde nous a oubliés", le monde est complètement absorbé par la guerre en Ukraine qu'il faut évidemment condamner, et on comprend, parce que c'est un événement gravissime.

Sauf que Madame Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, achète du gaz azerbaïdjanais…

Voilà, c'est ce qui est tragique, j'étais pour mon reportage, y compris dans des petits villages du sud, près de la zone frontalière, là où a eu lieu l'offensive militaire. Mais il n'y a pas un petit village en Arménie où on ne connaît pas le nom d’Ursula von der Leyen. Et les gens vous disent : "Mais alors quoi ? Vous allez nous sacrifier, nous les Arméniens, pour du gaz ? Mais ce n'est pas possible. Dites-nous que non, dites-nous que le président Macron va faire quelque chose !" 

 22 septembre 2022. Arménie, village de Tegh. Jour de deuil. Artur, un berger de 34 ans, a été tué dans les bombardements azéris du 13 septembre (la guerre des deux jours). Son père, sa famille et tous les voisins sont venus lui rendre un dernier hommage. (CHRIS HUBY / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Vous l'avez dit, l'Azerbaïdjan, les cibles, ce sont les civils. Ce n'est pas un enjeu stragétique. Mais là, les Arméniens attendent la France, parce que la France, ça veut dire quelque chose en Arménie ?

Mais la France, ça veut dire quelque chose en Arménie, j'allais dire depuis des siècles. Mais c'est vrai, c'est un pays qui a une proximité civilisationnelle, culturelle, qui a accueilli d'ailleurs la Francophonie en 2018. C’est un pays qui est très proche de nous, et ils attendent de la France, ce pays des droits de l'homme, qui a accueilli les exilés arméniens après le génocide, ce pays qui se proclame encore comme à la pointe des combats pour les droits des peuples, etc… de faire quelque chose pour l'Arménie.

Aujourd'hui, le président Macron a une initiative importante, certes, d'envoyer une mission de civils à la frontière, pour essayer de normaliser cette question des frontières entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Mais ça ne suffit pas du tout. Ce qu'il faut, c'est des forces d'interposition. Il faut des gens qui soient là. Des Casques bleus de l'ONU, qui empêchent l'Azerbaïdjan de lancer une nouvelle offensive.

Si on se reporte à quelques décennies, c'est ce qu'il aurait fallu faire pour les guerres de Yougoslavie. Une force d'interposition entre les Slovènes et l'armée fédérale yougoslave, par exemple ?

Par exemple. C'est aussi ce qu'il faudrait faire dans le cas du Haut-Karabakh, je vous rappelle, c'est cette région arménienne historique qui est enclavée complètement dans l'Azerbaïdjan parce que Staline l'a donnée à l'Azerbaïdjan en 1921. Eux aussi  aujourd'hui, j'ai essayé d'aller au Haut-Karabakh. Nous étions une délégation, nous étions un certain nombre de Français, personne ne passe, les journalistes ne passent plus.

Les gens sont de plus en plus isolés, isolés et terrifiés, parce qu'il y a encore quelques forces. Il y a encore des soldats russes, mais enfin, les soldats russes sont de moins en moins motivés par rapport à la question arménienne. Ils ont tragiquement abandonné les Arméniens, alors qu'il y avait une supposée alliance militaire qui fait qu'à partir du moment où l'Arménie est attaquée, la Russie est censée réagir. Elle ne l'a pas fait.

Donc, l'étau se resserre, et la France, si Emmanuel Macron pouvait être à l'initiative d'une vraie résolution pour protéger les populations arméniennes, ce serait aujourd'hui absolument urgent. Et moralement, c'est une faute inqualifiable d'abandonner l'Arménie, aujourd'hui.

L'Arménie et les Arméniens ont besoin de la France…

Absolument, plus que jamais…  

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