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Micro européen. L’Europe et la France en mal de "sacré" ?

Pourquoi le modèle britannique et sa monarchie nous fascinent-ils autant ? Nostalgie, curiosité ou peut-être plus simplement le constat d'un manque de sacré dans nos institutions ? On en parle avec Valérie Toranian, directrice de "La Revue des Deux Mondes". 

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La couverture de la Revue pour juillet et août 2021, avec la Reine Elisabeth II pour le dossier consacré au modèle britannique, "le sacré qui nous manque".  (LA REVUE DES DEUX MONDES)

Une fois n’est pas coutume, Micro européen s’arrête sur la France, à l’occasion de la sortie du numéro de juillet-août de La Revue des Deux Mondes, dont ValérieToranian sa directrice, est notre invitée.

En couverture, Le modèle britannique, le sacré qui nous manque. Ainsi, le sacré aurait été conservé outre-Manche, et aurait quelque peu disparu dans l’Hexagone. Bien évidemment, sacré ne signifie pas seulement la question religieuse, cela va plus loin, disons un sens des règles, des us, des coutumes, de la bonne marche du pays, aussi du savoir-vivre, le fameux "vivre ensemble" tant prôné chez nous, à se demander s’il est vraiment devenu une réalité.

"Les Français ont le goût du prince mais ils vont le chercher à l’étranger",  Charles de Gaulle

Cette citation du "Général" est toujours d’actualité. Il est vrai que les fastes de la monarchie britannique, sacre, mariages et funérailles, telles celles du principe Philip, sont devenus un rendez-vous cathodique, à défaut de ne pas être catholique. Sans oublier, les funérailles de Baudouin de Belgique ou les élections papales. Pourquoi donc un tel engouement chez les Français et nombre d’Européens n’étant pas "sujets" de monarques ? Peut-être pour paraphraser un célèbre philosophe se penchant sur le Royaume de Belgique où ce qui "manquait tant à Fabiola et pas à Paola", soit une descendance, des enfants, donc un héritage.

Les républicains que nous sommes, quelque part regrettant la monarchie ? Ou encore d’être des régicides ? Toujours attirés par les sons de la lyre, de l’hélicon, de la cithare, de l’hydraule et de la trompette de cérémonie quand le peuple est invité à partager joies et peines de la monarchie. Comment comprendre l’engouement, la magie du commentaire, le silence de convenance ou l’effervescence due aux chœurs et musiques d’apparat des événements monarchiques étrangers bien que le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier fut "l’hymne" de l’Eurovision durant des décennies, comme quoi résonnent toujours et encore en nous, le rythme cadencé d’une musique monarchique, même sous la république.

La perte de l’esprit républicain ?

En quoi les Français aiment la Reine d’Angleterre ? Il suffit de se souvenir de sa dernière visite à Paris, où au marché aux fleurs, les passants s’emportaient d’un "Vive la Reine", devant une maire de Paris médusée. Est-ce sa longévité sur le trône, à une époque où "valsent" les présidents tous les cinq ans ? Est-ce son sens aigu du devoir, quand tout a tendance à s’écrouler, époque après époque ? Est-ce surtout le fait que par beau temps ou dans la tempête, la Reine ne s’exprime jamais personnellement, parce que assurant la continuité de la monarchie.

Donc, et si bien, ce que quelque part regrettent les Français, ne serait-ce point ce que représentait la IIIe République, comme l’explique Valérie Toranian. À commencer par les Hussards noirs de la République. Ces instituteurs, à l’image du père de Pagnol, peignant eux-mêmes chez eux les cartes de France pour l’école, enseignant à lire, écrire, compter, raisonner aussi, menant leurs troupes vers le Certificat d’Etudes, puis le Brevet, enfin et peut-être le Baccalauréat du Lycée. À signaler les Petits cahiers Larousse, auriez-vous eu votre certificat d’études en 1923, c’est une bonne expérience en cette période de vacances à venir, tentez-là, on en ressort souvent fort "marri"…

Ainsi donc, après les Hussards noirs de la République, n’est-ce pas inconsciemment ce regain de nostalgie où le chef de l’État, était un Président "inaugurant les expositions universelles", bien au-dessus de la mêlée, laissant le bas-œuvre de la gestion de la République au Président du Conseil, élu par le suffrage universel, lui. Ainsi, parler de république monarchique ou de monarchie républicaine, c’est faire référence à cette époque qui se termina à la naissance de la Ve république.

Ici, le général de Gaulle ayant choisi le suffrage universel pour l’élection du président de la République, et non celui des grands électeurs, comme naguère, encore une offre généreuse envers les Français ; mais s’en ouvrant à Paul Raynaud (1878-1966, dernier président du Conseil de la IIIe République), ce dernier lui aurait répondu, "Mon pauvre Charles, vous ne les connaissez pas…" Effectivement le Général les connaissait mal, "ils" lui demandèrent de s’en aller 10 ans plus tard…

Sacrée perte ?

Alors au-delà de ce qui parait sacré pour les uns et pas pour les autres, la monarchie britannique serait-elle sauvée par le sacré, face à la perte de tant d’espoirs perdus, et voulus. Ainsi, en la création du court projet de Constitution européenne, le refus des élus et des élites européennes d’y apposer ses lettres de noblesse, à savoir l’héritage judéo-chrétien de l’Europe, ne fusse point une erreur, voire un manque de vision du futur, laissant une porte grande ouverte aux idées les plus farfelues, et surtout les actions de lobbies et autres cabinets d’influence profitant de la brèche pour distiller dans l’alambic européen leurs plus fous intérêts voire dans l’athanor communautaire, au mépris du sacré.

Alors comment revenir au sacré, même si la question peut paraître saugrenue, du genre "c’était mieux avant". En fait le sacré, quel qu’il soit, n’a jamais disparu, il ne s’agit que de la bonne volonté d’hommes et de femmes portés au pouvoir, de tout faire pour garder un équilibre dans une société vouée trop souvent au déséquilibre, quand celles et ceux qui sont en mesure de la gérer lui tournent le dos. Un peu comme le lait sur le feu. Enfin, si la question est bonne concernant la perte de sacré, les réponses se devraient d’être à la hauteur de cette remarque : "Quel est le sacré qui nous manque ?". Et si le sacré n’a pas disparu, pour les uns comme pour les autres, il s’agit peut-être de retrouver du "sacré" pour tout le monde.

Souvenons-nous du transfert des cendres de Jean-Moulin au Panthéon, ce 19 décembre 1964 où il gelait à pierre-fendre, et s’élevait la voix d’André Malraux : "Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège..." Trop souvent la tendance moderne pense remplacer le sacré par le sacre de la multitude, comme l’appelait Léon Bloy, parce que la confusion entre religion et sacré, sacré et sainteté, fait du sacré une notion éthérée, alors que le sacré est  souvent opposé au profane par ceux qui ignorent l’un comme l’autre. Le sacré est à la raison ce que le temporel est au spirituel, et le sacré peut-être indépendant du sacrement,  si comme disait Jean Cocteau, "À force de ne jamais réfléchir, on a un bonheur stupide".  

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