Micro européen. L’insupportable menace d‘Ankara contre la République de Chypre
Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, entre obstination et irréalisme. Ce vendredi 7 juin à Istanbul, il s'est dit prêt à défendre, "jusqu'au bout", les droits des chypriotes turcs en Méditerranée orientale.
Depuis que les colonels grecs en 1974 ont tenté un coup d’état à Chypre, et qu’Ankara avait vivement réagit en envoyant ses troupes parachutistes, initiant ainsi la guerre chypriote entre les deux communautés grecque et turque, l’île vit sous une certaine tension. L'analyse de Thomais Papaioannou, correspondante de la télévision publique grecque et chypriote en France, et de José-Manuel Lamarque, dans ce nouveau numéro de Micro européen.
Il existe deux états
Au sud, la République de Chypre, reconnue au niveau international et membre de l’Union européenne, et au nord, un état seulement reconnu par Ankara, la République turque de Chypre du nord. En fait, c’est l’ensemble de l’île qui devrait être membre de l’Union européenne, mais la présence de l’armée turque au nord et la volonté d’Ankara de marquer sa présence, fait que l’île est toujours séparée en deux zones par une ligne appelée la "ligne verte". Les négociations de paix entre les deux parties de l'île, sous l'égide de l'ONU, sont dans l'impasse depuis 2017.
Le riche sous-sol marin chypriote
La zone économique exclusive (ZEE) de la République de Chypre est riche en gaz et hydrocarbures, et les activités de forage chypriotes vont s’intensifier, ce qui n’est pas du goût d’Ankara, une nouvelle fois. Ainsi Monsieur Erdogan tient aussi à mener des activités similaires, mais qui déborderaient sur la ZEE chypriote.
Mais comme les négociations quant à la résolution de la question chypriote n’ont pas abouti, faute de souplesse de la part d’Ankara, Erdogan demande expressément la suspension des exploitations de forages chypriotes tant que le dossier de la partition de l’île ne sera pas réglé.
Qui plus est, la République de Chypre a signé des contrats d’exploitation avec les compagnies française et italienne, Total et Eni. Une nouvelle fois, Ankara menace d’empêcher les navires de ces compagnies de pouvoir mener leurs campagnes d’exploitation.
Le droit souverain de la République de Chypre doit être respecté
Face à la position d’Ankara, l’Union européenne, par la voix de Michel Barnier, et Washington, demandent au gouvernement turc de respecter les droits souverains de la République de Chypre, et qu’Ankara s’abstienne de toute action illégale au regard du droit international. Mais Ankara fait la sourde oreille, et continue à vouloir, elle aussi, procéder à des forages bien au-delà de sa propre zone exclusive, débordant sur la zone de la République de Chypre.
Face à l’obstination turque, l’Union européenne se réserve de répondre de manière appropriée et pleinement solidaire avec la République de Chypre. En réponse, Ankara affirme qu’elle a des droits à faire valoir sur son plateau continental.
Qui plus est, la présence de la marine turque, souvent trop proche de la ZEE chypriote, n’est pas un gage de sagesse de la part des autorités turques. Aujourd’hui, il d’ailleurs fortement question de l’implantation d’une base navale française dans le sud de la République de Chypre, et les autorités de la République de Chypre sollicitent la présence de la Marine nationale française, autant pour protéger les navires de forage français, voire italiens.
Le grand déstabilisateur de la Méditerranée orientale
À n’en pas douter, Recep Tayyip Erdogan est le grand déstabilisateur de la Méditerranée orientale. Autant il préoccupe les autorités européennes quant à son attitude envers la République de Chypre, autant face à l’Europe, il sait bien manier le chantage en menaçant de lever ses barrières frontalières et laisserait une nouvelle fois entrer de nombreux migrants sur le territoire de l’Union européenne.
Mais, ce qui déplaît beaucoup aussi au président turc, ce sont les accords énergétiques de la République de Chypre avec Israël et l’Égypte. L’Égypte a signé, jeudi 6 juin, un accord avec la République de Chypre pour l'installation d'un câble sous-marin de 310 kilomètres entre les deux pays afin d'exporter de l'électricité en Europe.
Ainsi la République de Chypre deviendrait une plateforme majeure pour le transport d'électricité de l'Afrique à l'Europe. Face à l’escalade des tensions, la République de Chypre se voit assurée du soutien de l’Union européenne par le biais de la France, ainsi que du soutien de Washington.
Quel avenir pour l’île de Chypre ?
Stratégiquement, Chypre est déjà une sorte de porte-avion avancé européen en Méditerranée orientale. Deux bases anglaises sont présentes sur le territoire de la République de Chypre, et cette dernière a toujours été un pivot fort important concernant la diplomatie européenne, face aux crises terroristes du Moyen Orient jusqu’en Afghanistan, et une terre d’accueil, tant pour les opérations humanitaires de réfugiés que de zone de passage pour les armées européennes, dont l’armée française.
Aujourd’hui, la position intransigeante d’Ankara tient plutôt d’un aveuglement incompréhensible, car la non-résolution de la question chypriote représente pour Ankara une dépense énorme quant au maintien de troupes turques dans la partie nord de l’île. Présence aujourd'hui inutile, fort coûteuse pour la Turquie, car les deux communautés civiles grecque et turque arrivent dorénavant à communiquer, et il est beaucoup à espérer de la jeunesse chypriote turque.
Plus d'infos sur Chypre avec les essais de Charalambos Petinos parus aux éditions de L'Harmattan
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