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Dans les coulisses de 30 ans de guerre : Goran Tomašević, un "Caravage de la photographie"

Lauréat de nombreux prix internationaux, désigné par Reuters comme le meilleur photographe de l’année à quatre reprises, le travail de Goran Tomašević a fortement marqué le photojournalisme. "Un merveilleux Caravage de la photographie", écrit Francis Kochert, de l'Académie nationale de Metz en évoquant un ouvrage publié par les éditions Lammerhuber sur 30 années de conflits dans le viseur du photoreporter serbe.
Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
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Le 14 février 2014, Goran Tomasevic a reçu le premier prix dans la catégorie Spot News Stories au 57e World Press Photo à Amsterdam. Il a été élu meilleur photographe de l'année 2013 par le quotidien britannique, "The Guardian". Cette photo montre des combattants de l'Armée syrienne libre se mettant à l'abri alors qu'un obus de char explose sur un mur, lors de violents combats dans le quartier d'Ain Tarma à Damas, en Syrie, le 30 janvier 2013. (GORAN TOMASEVIC / REUTERS / MAXPPP)

A l’initiative d’Alain Mingam, autre photojournaliste passé par Sygma, Gamma et le Figaro Magazine, les Editions Lammerhuber publient une compilation, sur 30 années de conflits, des photographies du reporter serbe Goran Tomašević. Des Balkans au Soudan, de l’Afghanistan au Mozambique, de l’Irak au Nigéria, les 444 pages de cet ouvrage unique en son genre, invite au voyage incontournable du photojournalisme depuis trois décennies.

C’est une œuvre à tous les sens du terme. "Un Caravage de la photo", écrit Francis Kochert de l’Académie Nationale de Metz. Il y a en effet des jeux d’ombres et lumières qui rappellent le peintre italien, mais surtout c’est la richesse du contenu et le format de ce livre à part, qui composent cette œuvre. L’objet pèse son poids. Lourd à transporter, comme lourd à porter pour Goran Tomasevic, s’agissant de 30 années de guerre, autant de situations de souffrance et de mort, mais aussi et surtout 30 années de vie et de journalisme. 

1er septembre 2022. Le photojournaliste serbe Goran Tomasevic, invité du festival international du photojournalisme, Visa pour l'image à Perpignan. (HORACIO VILLALOBOS / CORBIS NEWS / GETTY IMAGES)


Goran Tomasevic, né en 1969 à Belgrade dans la Yougoslavie de Tito, va grandir dans un climat de manifestations qui portent les germes de la guerre civile. Il n’a que 12 ans quand son père lui offre un appareil photo. Pour les connaisseurs, un FED 5 V, le précurseur du Leica qui va lui permettre de progresser très vite dans cette discipline, véritable mode d’expression de son adolescence. Ses récits photographiques, il les construit à la manière d’un reportage, et c’est tout naturellement qu’il se tourne vers le photojournalisme, en commençant par des sujets politiques et les manifestations anti-Milosevic.

Puis, c’est la guerre des Balkans, les bombardements de l’Otan, Goran va vivre les affres de la guerre civile qui déchire son pays. D’origine serbe, il couvre la situation, en Bosnie et en Croatie d’abord pour le quotidien kosovar Pristina, puis pour l’agence Reuters.  

Difficile de savoir si cette période déterminera à jamais le fil de son parcours sur les terrains de guerre, seule certitude, "Quand les histoires se passent chez vous, c’est là qu’elles font le plus mal". Il perd des amis, des parents, des collègues dans cette guerre, son reportage dans un hôpital en Albanie, où agonisent les survivants d’un bombardement de l’Otan, lui reste longtemps dans la tête. 

Espagne, 15 mai 2012. Un visiteur devant une photographie de Goran Tomasevic au musée San Telmo de San Sebastian. Goran Tomasevic capte l'image d'un marine de l'armée américaine, le Sergent William Olas Bee, lors d'un combat contre des Talibans, près de Gamser, en Afghanistan, en mai 2008. (JAVIER ETXEZARRETA / EFE / MAXPPP)

Et pourtant, Goran fait en sorte de contrôler ses émotions, même si c’est un défi sur une zone de guerre. L’émotion est imprévisible et dangereuse. Sur un terrain sensible, c’est un ennemi. On se doit de dompter ses propres émotions, mais aussi celles des gens qui vous entourent. L’émotion, elle jaillit souvent quand tout est fini, au moment du tirage des photos qu’il a prises.

Sur le terrain, le photojournaliste est concentré sur l’observation des faits, le souci de porter la réalité du terrain dans ses nuances à la connaissance de tous, mais une fois spectateur de son propre travail, il se laisse déborder par l’émotion. Car les images de Goran sont expressives, elles portent une profonde humanité. Sans doute la métaphore du Caravage est-elle pertinente, on retrouve le clair-obscur jusqu’au ténébrisme de la mort, la violence et la brutalité des scènes et une bouleversante sensibilité en toile de fond.

Au plus près des combattants, de leurs tranches de vie et de morts, à partager l’effroi et les souffrances, en les capturant dans son appareil, en 267 photos, et 30 ans de conflits, Goran Tomasevic livre ici les précieux témoignages de l’Histoire, celle que personne d’autre n’a raconté. Avec le souci de tout raconter en une prise, et non pas ressentir le besoin de faire une série de plusieurs clichés pour raconter un tableau. Un style à part, qui lui a valu les plus grands prix internationaux du photojournalisme, et d’être nommé par Reuters le photographe de l’année à quatre reprises.

Samedi 1er mai 1999. Donje Liupce, Kosovo, Yougoslavie. Les restes d'un bus complètement détruit sur un pont, à 10km au nord de la capitale du Kosovo, Pristina. L'agence de presse yougoslave Tanjug rapporte qu'un missile de l'OTAN a tué 40 civils en coupant le bus en deux. (GORAN TOMASEVIC / POOL REUTERS / EPA / MAXPPP)

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