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Dans les coulisses des free-lances et lanceurs d'alerte qui enquêtent sur les dérives de l'agro-industrie

Les free-lances et lanceurs d'alerte qui enquêtent sur les dérives de l'agro-industrie et de ses effets sur l'environnement et le droit du travail, sont souvent des reporters qui vivent dans le risque et la précarité. Ils doivent composer avec des intimidations et des agressions.
Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Morgan Large, une journaliste bretonne qui enquête sur l'agro-industrie et sur les atteintes à l'environnement, est régulièrement menacée. (MARGAUX STIVE / RADIO FRANCE)

Dans les territoires, des reporters en free-lance mènent des enquêtes sur l’agro-industrie et ses effets sur l’environnement. La condition de free-lance les enferme dans une précarité qui ne leur permet pas de disposer de moyens importants, pour la conduite de leurs investigations. Et de surcroît, ces reporters doivent gérer les menaces et les intimidations qui interviennent en représailles de leurs activités journalistiques. À Guingamp, la journaliste Morgan Large vient de subir un deuxième sabotage de son véhicule, qui aurait pu lui coûter la vie.

C’est la série Jeux d’Influence sur Arte qui éclaire les rouages d’un journalisme souvent empêché, sans moyens, empêtré dans les filets de lobbys et de compromissions politiques, des reporters qui doivent subir violences verbales et physiques en retour. Un journalisme sur les ravages de l’agro-industrie sur l’environnement, l’usage des pesticides, les pollutions, les intoxications, les corruptions qui achètent les silences, dans les fermes sans le sou. Le scénario de la série ne sort pas de nulle part. il prend ses racines dans une réalité de terrain. 

Prenons le cas de Morgan Large, journaliste bretonne radio, qui officie à Radio Kreiz Breizh (RKB), et cofondatrice du média d’investigation Splann ! Le 25 mars dernier, au volant de sa voiture, un étrange bruit attire son attention. Elle s’arrête chez son garagiste qui constate que les boulons de sa roue arrière gauche ont été desserrés. Tout comme il y a deux ans.

Ce sabotage n’est pas anodin

La roue peut partir à n’importe quel moment, notamment sur la 4 voies que Morgan emprunte souvent à 110 km/h. Inutile de s’appesantir sur les conséquences. Le danger de mort est réel. Morgan Large est connue pour ses enquêtes sur les ravages de l’agro-industrie sur l’environnement. Deux ans auparavant, le 27 mars 2021, Morgan Large avait déjà découvert le même sabotage, une roue de sa voiture avait été déboulonnée, peu de temps après la diffusion du documentaire Bretagne, une terre sacrifiée, dans lequel elle témoignait des dérives de l’agroalimentaire. 

Des actes de vandalisme ont été constatés dans les locaux de la radio à Saint-Nicodème et Rostrenen (Côtes-d’Armor). Plusieurs plaintes avaient été déposées. La radio, qui, au sujet de sa journaliste s’interroge : 

"Le refus de lui assurer une protection policière après sa première plainte, puis le classement sans suite de celle-ci en décembre 2022, ont-ils favorisé un sentiment d’impunité chez ses agresseurs ?"

Radio Kreiz Breizh (RKB), la radio où travaille Morgan Large

Une impunité qui n’est pas tolérable, et qui place les journalistes plaignants dans une forme de précarité juridique. L’expression est d’Hélène Servel que l’on entend aujourd’hui dans Profession Reporter.

Hélène Servel est journaliste free-lance en Provence

Les enquêtes d'Hélène Servel portent sur l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère par les industries agricoles. Elle est régulièrement victime d’intimidations et d’insultes. Le fait le plus notable : septembre 2020. Elle travaille avec l’équipe d’Envoyé Spécial de France 2 sur sa thématique de prédilection, cette fois, une entreprise d’intérim agricole espagnole Terra Fecundis, qui s’appelle désormais Work For All, et qui envoie des centaines de travailleurs dans les exploitations de Camargue.

Alors que sur la voie publique, c’est-à-dire à l’extérieur du domaine, le caméraman filme les mas où sont entassés les travailleurs espagnols, le propriétaire des lieux fonce sur l’équipe de France Télévisions avec son 4x4. Il pile à la dernière minute, parechoc à quelques centimètres des genoux des reporters. Il sort précipitamment de son auto, pour agresser le caméraman et détruire son matériel. La séquence mouvementée de leur agression a été filmée par le reporter d’images, et diffusée dans le reportage Les travailleurs de l’ombre, dans l'émission de reportages Envoyé spécial, en janvier 2021.

 

Les journalistes ont porté plainte. L’affaire a été jugée et le saladiculteur a été condamné à 1000 euros d’amende, des dommages et intérêts pour le journaliste blessé, et pour les syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, CFDT) qui s’étaient portés partie civile. Une peine trop clémente pour Hélène Servel. Les intimidations vont continuer. Et les injures grossières aussi. 

Trop d'indifférence, trop d'impunités

Pour des journalistes qui vivent seuls ou en famille, et sans protection, la précarité des conditions de travail est un frein, le climat de violence, un autre, mais quand le reportage est publié, et porte la vérité, c’est un baume qui efface les possibles découragements.

Trop d’indifférence, trop d’impunités, compliquer son propre quotidien par un climat de peur et de brimades, risquer sa vie pour dénoncer des abus et des contaminations, ces sacrifice valent-ils le coup ? Ces reporters et lanceurs d’alerte se posent la question tous les jours. Ce qui les fait tenir : la conviction de délivrer une information précieuse pour l’intérêt général.

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