Du Vietnam à l’Ukraine, Patrick Chauvel
"100 photos pour la liberté de la presse". "Reporters Sans Frontières" vient de publier un album dans lequel le photojournaliste Patrick Chauvel, "rapporteur de guerre", offre ses images les plus iconiques, de la guerre au Vietnam à l’Afghanistan
L'album de Reporters Sans Frontières dédié au travail du "rapporteur de guerre" Patrick Chauvel, vient d'être publié. Entre deux missions en Ukraine, Patrick Chauvel livre pour franceinfo sa vision de la profession reporter.
Bien sûr, il y a les photos qui expriment souvent ce qui ne peut être dit. Mais ce qui frappe en filigrane dans cet album, ce sont les textes. Les mots qui résument l’essence de la profession reporter, à commencer par ceux de Patrick Chauvel lui-même.
Si les dangers du front sont familiers, méfions-nous des retours. La hantise du quotidien, l’envie de solitude. La guerre, c’est comme aller sur la Lune, la paix, c’est l’autre monde. Il faut s’adapter aux silences et parfois à l’indifférence."
Patrick Chauvelà franceinfo
Quand on vit sur le terrain les tragédies d’une zone de guerre, et que l’on porte à la connaissance de tous les souffrances vécues et les témoignages, on a l’impression d’être utile. Mais en rentrant, on constate une ligne de fracture. On rentre dans le "monde de paix" avec tant d’histoires à raconter et à retenir, car les vies autour se concentrent sur les problèmes du quotidien, "et on ne peut en vouloir aux gens de vivre leurs vies", mais le décalage est profond, surtout quand tu penses à celles et ceux que tu as laissés dans le métro de Kharkiv, dans les tranchées du Donbass, dans les ruines d’Alep, entendre de retour à Paris, dans un repas du samedi soir, gémir à table à cause d’une fuite d’eau, tout ça devient dérisoire.
Et puis il y a la notion de culpabilité, "manger un bon steack en terrasse en France en ayant des flashs dans la tête, tu revois les mecs que tu as côtoyés et avec qui tu as partagé un bout d’enfer pour informer, et qui sont restés là, dans la boue et sous le feu". Alors, comme il le dit dans cette chronique, Patrick prend sa moto pour faire un peu de vitesse, faire le vide, ou alors il décapote sa Mustang – qu’importe le temps – et roule sur les départementales de campagne. Faire le vide.
Et dans cet album, il y a le texte de celles et ceux qui veulent témoigner leur affection pour Patrick Chauvel et leur admiration sans faille. Les amis pour beaucoup. Rémy Ourdan, Sorj Chalandon, Jean-Marc Barr. Adrien Jaulmes ou encore Frédérique Drogoul de "Médecins du monde" qui se souvient de la Tchétchénie. Chu Chi Thành, ancien correspondant de guerre de l’Agence de presse du Vietnam, "Chauvel avait à cœur de montrer la guerre, vue de l’autre côté, en particulier, notre travail à nous, photographes vietnamiens". Chu Chi Thành se dit profondément touché par la volonté de Patrick de faire entendre la voix des témoins méconnus de l’Histoire.
Pour Chauvel, tout est normal, c’est la base du journalisme, et il ne fait que suivre la trajectoire dessinée par une note de service qu’il n’oubliera jamais. Celle de Pierre Lazareff, patron de France Soir, "Le point et le contrepoint". L’obsession de Patrick Chauvel est d’aller côté russe aujourd’hui, non pas pour une quelconque affinité, simplement pour porter le contrepoint.
Et puis il y a la douleur de Don McCullin : "Les journaux n’ouvrent plus leurs pages aux reporters de guerre sous prétexte que cela coûterait trop cher, que cela ne ferait pas vendre, pourquoi, pour qui, certains d’entre eux ont-ils donné leurs vies ? Sont-ils morts en vain ?"
Et si l’Ukraine inverse cette tendance aujourd’hui, c’est parce que la guerre est à nos portes, elle est en Europe et elle menace la paix mondiale. Il ne faut pas jouer avec les mots dit Chauvel, c'est un conflit où les Européens et les Américains livrent des armes contre les Russes, "c’est une guerre mondiale". Et comme l’intérêt de la guerre – puisqu’à deux pas de nos frontières – s’est manifestée dans toutes les rédactions, et que depuis les Balkans et la Tchétchénie, le nombre de médias a considérablement augmenté, le nombre de journalistes sur place dans les premières semaines de guerre est si important qu’il en devient dangereux.
Ils veulent tous aller sur le front, ils veulent tous être avec les bataillons ukrainiens qui, croulant sous les demandes, finissent par ne plus supporter le trop plein de reporters. Les Ukrainiens ne peuvent pas répondre à tous, en embarquer tous les jours, ils ont des positions à tenir, et des stratégies de défense à penser et mener, pour répondre à l’agresseur russe.
Don McCullin n’est pas allé en Ukraine. Il tourne désormais son objectif vers les paysages du Somerset, dans l'Angleterre du Sud-Ouest, qui s’étendent devant sa maison. Il se dit "retraité de l’horreur qui a su garder son équilibre", mais forgé aussi par une certitude : "Aucune de ses photos n’a infléchi, ne serait-ce que légèrement le cours des choses. Mais si une photo n’a jamais empêché une guerre, au moins lui donne-t-elle une consistance. Faute d’empêcher, montrer, c’est déjà rétablir les faits".
Si Don McCullin ne va plus sur le terrain, Patrick Chauvel lui, ne se résout pas à la retraite. L’énergie des premiers jours est toujours là. Parce qu’il veut vivre l’Histoire et ne pas la lire. Raconter les faits avec sa sensibilité.
Adrien Jaulmes, prix Albert-Londres, le décrit sans âge, "parce que le reportage a toujours été pour lui un mode de vie plus qu’un métier". Et dans son objectif, "le regard de Patrick Chauvel brille de vie en plus, écrit Sorj Chalandon, c’est parce qu’il a connu le pire et prend soin du meilleur."
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