Fanny Cheyrou, le reportage en immersion
Parfois qualifiée par ses pairs comme la nouvelle Florence Aubenas, Fanny Cheyrou était trop attachée à la singularité des êtres pour accepter ce jeu de miroir qu’on lui tendait. La journaliste de "La Croix L’Hebdo", emportée par une maladie, nous a quittés le 22 octobre dernier. Elle n’avait que 32 ans.
Le soin du détail et de la justesse guidait le travail de Fanny Cheryou, journaliste de La Croix L’Hebdo, disparue le 22 octobre dernier, à 32 ans seulement. Et il n’y avait que le temps long de l’immersion pour donner à son reportage toute la profondeur nécessaire. La profession reporter vient de perdre une de ses plus belles plumes.
Le souci permanent de Fanny Cheyrou, c’était les marges de la société, "son attention sans cesse renouvelée pour les plus pauvres, les délaissés, les sans-papiers", écrivait Jérôme Chapuis, directeur de la rédaction de La Croix dans un édito qui rendait hommage à la reporter, le 24 octobre dernier. Les marges d’une société centrée sur elle-même, et qui pourtant en disent long sur cette dite société.
Fanny Cheyrou ne se contentait pas du facile et du binaire, du prémâché qui s’explique en trois lignes, de la synthèse poussée à outrance, pour en faciliter la compréhension, avec le risque de prendre des raccourcis qui sont une distorsion de la réalité. Pour approcher l’authenticité, il n’y a que les zones grises, l’exploration des paradoxes, les nuances. Et pour que le reportage porte cette réalité du terrain, il doit s’inscrire dans le temps long. Celui de l’immersion.
Le temps long de l'immersion
Les articles de huit pages, Fanny y était déjà accoutumée dans les colonnes du mensuel Panorama, un reportage entre grâce et violence, sur le quotidien des fils de la charité, en périphérie de Mexico. En 2019, elle rejoindra la nouvelle équipe constituée de La Croix, autre titre du groupe Bayard, mais toujours avec la même acuité dans l’approche chirurgicale des situations.
L’immersion encore et toujours avec les migrants. Les SDF monoparentales, ces mères seules errantes avec enfants, ou celles qui accouchent dans la solitude d’une chambre d’un hôtel social qu’on imagine sordide. Fanny l’a racontée cette histoire, ces mères sont faites de chair et de vie alors qu’elles sont réduites à des chiffres et des statistiques dans les préfectures. Les SDF jusque dans la mort avec une immersion dans le travail du collectif "Les Morts de la Rue". Un travail qui avait produit beaucoup d’écho et frappé les esprits. Que ces Sans Domiciles Fixes ne soient plus, dans leurs malheurs, des invisibles ou des ombres sur un trottoir, des ombres qui glissent dans l’oubli, avant de disparaître de la surface de la terre.
Et puis, cette rencontre avec deux infirmiers de campagne dans un village des Landes, à Saint-Perdon. Quelle réalité des déserts médicaux ? Et le rôle crucial de ces deux infirmiers qui sont bien plus que des infirmiers, un relais pour les habitants du village, à la manière du curé d’autrefois, ou autre figure essentielle d’une collectivité rurale. Max et Ludo, Fanny les a suivis trois semaines pour un reportage. Et puis elle a gardé contact avec eux. Est née l’histoire d’un livre, l’immersion s’est poursuivie. Et aujourd’hui, après que Fanny ait si bien évoqué leurs métiers d’infirmier, c’est au tour de Ludovic de parler d’elle dans cette chronique, la voix étranglée par l’émotion.
Cet enregistrement, c’est quelques heures seulement après les obsèques de Fanny Cheyrou, "une étoile parmi les étoiles", dit Ludo, mais qu’on continuera de regarder comme un guide. "Elle incarnait" ses sujets, analyse Marie Boëton, journaliste de La Croix L'Hebdo qui a tenu à écrire quelques mots comme pour exorciser la peine de toute une rédaction.
À Fanny, hommage de la rédaction de La Croix
"Fanny était ma voisine de bureau, et c’était une tornade de joie. Elle était solaire, entière, absolue à sa façon. C’était une journaliste à part ; elle ne faisait pas qu’écouter l’autre, elle savait l’entendre. En vrai, c’est rare.
A la trentaine, elle avait déjà vadrouillé sous toutes les latitudes, du Sénégal au Japon ; elle avait été journaliste, rédac chef ; elle avait publié un livre. Peut-être avait-elle l’intuition sourde que notre passage sur terre peut être furtif ?
Sa vie a obliqué, l’an dernier, à l’annonce de la maladie. Je me souviens d’elle, alors dans l’attente d’un diagnostic définitif, me disant : 'Je crois que je suis capable de tout entendre'. Pas de frime, pas d’emphase dans ces mots, juste une de ces phrases immenses dont elle avait le secret. Elle restait, toujours, à la verticale d’elle-même, Fanny.
Et même lorsque les nouvelles du front médical n’étaient pas bonnes, elle terminait ses messages par :' Mais je garde le moral, je garde le sourire', et elle ajoutait : 'On ne va pas pleurer, hein ?'. La maladie l’a fait voyager dans des abîmes dont on n’a pas idée, mais elle a toujours eu, pour les autres, ces mots qui hissent, qui élèvent.
Jusqu’au bout, elle a eu cette élégance morale. L’élégance tout court d’ailleurs : Dans sa robe de mariée, à l’été 2021, on l’aurait cru tout droit sortie d’un film de Visconti. La remarque l’avait fait sourire. Il y a quelques mois, elle m’avait dit : 'Visconti, tu sais, c’est fini. Je ressemble plus à un petit bonze maintenant'. Mais l’élégance ne l’avait pas quittée.
A ceux qui avaient une foi plus vacillante qu’elle, elle répétait ces mots si amples et tolérants : 'De là où tu es, aie foi en ma guérison'. Elle, on le sait, s’est toujours tenue droite dans l’espérance.
Aragon disait : "On ne meurt pas puisqu’il y a les autres". Les autres, aujourd’hui, c’est Jeanne qui te poursuivra à sa façon. Les autres, c’est nous tous, que tu as tant inspirés. Merci, Fanny, d’avoir été celle que tu as été."
Marie Boëton
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