Cet article date de plus d'un an.

L’éducation aux médias chez les TIG (travaux d'intérêt général)

Dans les coulisses des journalistes qui investissent les établissements scolaires, les prisons, et les associations pour dispenser une éducation aux médias. Eric Valmir a rencontré Basile de Bure qui intervient auprès de jeunes sous le joug de la justice.
Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Basile de Bure a fait de l’éducation aux médias sa principale activité, à travers la France, mais auprès des jeunes et en milieu scolaire. Sa mission : "expliquer que la diversité est le grand défi des rédactions, mais les jeunes ne jugeront qu’à l’épreuve des faits". (Illustration) (JONATHAN KITCHEN / DIGITAL VISION / GETTY IMAGES)

TIG, travail d’intérêt général. Une peine judiciaire à l’issue d’un procès. Et à la Villette, ce travail d’intérêt général, c’est passer du temps avec un journaliste. Basile de Bure a fait de l’éducation aux médias sa principale activité, à travers la France, mais auprès des jeunes et en milieu scolaire. Là, c’est une toute autre expérience qui lui a été proposée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et qu’il a décidé de raconter dans un livre : Que le destin bascule.

On a toujours peur de ce qu’on ne connaît pas

Et des jeunes pris dans le joug de la justice, inscrits dans un programme de lutte contre la radicalisation, on imagine sans peine les préjugés qui peuvent en découler. Préjugés que ces mêmes jeunes peuvent avoir à l’égard des journalistes, le sentiment de défiance en plus. Deux parties qui vont se rencontrer pour se découvrir.

Évidemment, il ne s’agit pas de verser dans un angélisme naïf. La rencontre n’est pas si simple. Elle se heurte à des sommes d’incompréhensions et de malentendus. Il faut du temps et une sincérité à toute épreuve dans la relation, pour établir une connexion entre deux univers qui ne se croisent jamais.

"Journaliste, c’est un métier de blanc, c'est pas pour nous...Pareil pour procureur, avocat ou je ne sais pas quoi, c’est que des blancs, nous, on est dans la plomberie ou dans le bâtiment. On n’a pas la même chance que les autres et vous le savez bien." Et le journaliste d’expliquer que la diversité est le grand défi des rédactions, mais les jeunes ne jugeront qu’à l’épreuve des faits.

Rencontrer ces jeunes en dehors, individuellement, dans leur quotidien 

Basile de Bure va pousser l’expérience, au-delà du temps imparti par le travail d’intérêt général. Et si le reporter cherche ici à donner la parole, porter un témoignage, il lui faut aussi vérifier, recouper tout ce qui lui est dit, comme en reportage. Gabriel, qui se dit "victime de violence policière", Basile enquête, veut retrouver la brigade incriminée, se rend compte que ces ripoux existent, et sont poursuivis pour des faits similaires dans d’autres affaires.

Il y a des postures qui surprennent Basile, notamment dans la relation des jeunes face à la police, dans les opérations de contrôle. Basile, "surpris de l’attitude de ces jeunes, incapables de faire profil bas devant les policiers. Dans les codes des jeunes hommes des quartiers populaires, cette attitude est pourtant inenvisageable. Face à la police, baisser la tête est bien plus grave que d’être arrêté. Au nom des codes de sociabilisation masculine, des dizaines de jeunes garçons sont ainsi embarqués et condamnés, pour outrage sur l’autel de leur virilité. Et inutile d’attendre la moindre compréhension des officiers de la BAC qui répondent aux mêmes injonctions. Dans ce combat des coqs du bitume, mieux vaut être du bon côté de l’insigne."

 

Expliquer la complexité d’une réalité de terrain et la nécessité de la nuance dans l’information est certainement le défi le plus difficile à relever.

  • "Monsieur, avant tout, vous êtes pour ou contre Charlie Hebdo" ?
  • "C’est un long débat, je ne peux pas répondre comme ça"
  • "Ma question est simple : pour ou contre ?"
  • "Déjà, il faut commencer par parler de Charlie Hebdo, expliquer ce qu’est un journal satirique."
  • "Essayez pas de m’embrouiller, c’est pour ou contre ?"
  • "Ça ne t’intéresse pas d’en discuter ?"
  • "Non, pour ou contre"
  • "Alors je suis pour"
  • "Alors, ok, je ne vous parle pas..."

Les débats étaient toujours animés, les participants avaient du mal à comprendre ce qu’ils considéraient comme de la provocation gratuite. En revanche, tous reconnaissaient ne jamais l’avoir lu. Et lorsque nous faisions tourner un exemplaire, un éclat de rire venait systématiquement interrompre les débats : "Ah, les bâtards, regardez ça". Il suffisait de faire lire Charlie à ces jeunes, tout simplement, pour que le langage universel de l’humour modifie leurs positions."

Il faut lire Que le destin bascule, le portrait d’une jeunesse désorientée qui ne veut pas, forcément, mal faire, mais qui n’a pas les codes, et se laisse entraîner par les chemins de traverse de la délinquance et de l’argent facile. Ce n’est pas qu’un récit sur une éducation aux médias particulière, c’est le ravage du prix de l’ignorance. Dans une société radicalisée sur les positions clivantes, c’est quitter la crise de nerfs pour se poser et réfléchir à ce que nous voulons. Comprendre que de l’autre côté de la rue, il y a autre chose. L’altruisme n’est pas une maladie, c’est le pari de l’intelligence.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.