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"Dissident club" : le journalisme pour échapper à l'endoctrinement religieux

Posée en ces termes, la question intrigue. Et pourtant, le parcours de Taha Siddiqui s’est heurté à ce choix. Pris dans la spirale de l’endoctrinement religieux, le jeune homme qui va fréquenter les universités de Karachi va découvrir le journalisme. La profession reporter va se révéler parcours initiatique.
Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
"Dissident club", chronique d'un journaliste pakistanais exilé en France de Taha Siddiqui (Pirx Albert-Londres en 2014) et Hubert Maury. (EDITIONS GLENAT)

Taha Siddiqui, journaliste pakistanais exilé en France raconte son parcours dans une BD Dissident club et notamment, comment la profession de reporter l’a sauvé de l’endoctrinement religieux. Un album en partenariat avec Reporters sans frontières et franceinfo. 

Le poster d’Oussama Ben Laden aurait existé, et ramené à l’échelle d’une culture occidentale, le jeune Taha Siddiqui l’aurait certainement affiché dans sa chambre d’adolescent. Véritable figure marquante d’une jeunesse à la fin des années 90 et au début des années 2000. La vie de Taha commence en Arabie Saoudite, dans une famille aimante avec un bon niveau social. Mais le père fréquente la mosquée d’un imam radical. Et au fil des semaines, les règles à la maison vont changer pour se calquer sur les préceptes islamistes. Les interdits se multiplient.

Au départ, le petit garçon, qui voit la figure paternelle comme une boussole, suit les préceptes de son père. Oussama, un grand homme, et le djihad en Afghanistan, une quête pour grandir. Taha fréquentera l’école coranique, mais finalement, à la faveur d’un déménagement de la famille à Karachi, le jeune homme va fréquenter des écoles plus progressistes, notamment l’université.

Il prendra ses distances avec le discours paternel, et épris d’une étudiante chiite, ne comprendra pas les raisons de cet amour impossible. Se voir n’est possible que clandestinement, et quand leur relation devient sérieuse, la jeune femme disparaît. La religion s’est mise entre eux. Ce poids démesuré de la religion, Taha le questionne avec son ami Chiraz. Beaucoup plus décontracté que Taha, Chiraz transgresse les règles.

Taha Siddiqui et Sara Farid devant leur café/bar "The Dissident Club" à Paris, le 19 juin 2020. Taha Siddiqui, journaliste, lauréat du prix Albert-Londres en 2014, et fondateur de la plateforme Safenewsroom, sa femme, Sara Farid, photojournaliste et artiste, sont des réfugiés pakistanais, arrivés en France au printemps 2018. (MOHAMMED BADRA / EPA / MAXPPP)

Et puis, un jour, alors que Taha ne sait que faire de sa vie, son père lui trace un avenir dans la finance, pour gérer l’entreprise qu’il lui laissera, l’étudiant découvre le journalisme par hasard. Le premier ministre fait une intervention à l’université, à l’issue de laquelle il va tenir une conférence de presse. Le feu des questions impressionne Taha. Il s’entretient alors avec un reporter qui lui parle du journalisme comme contrepouvoir, c’est un déclic.

Taha Siddiqui vient de trouver sa vocation

D’abord dans des médias locaux, puis conjuguant ses compétences d’analyste financier, et son amour du journalisme, il devient consultant de la chaîne CNBC, avant d’être engagé par Geo News. Il croise le chemin de deux journalistes français, Julien Fouchet et Sylvain Lepetit, avec lesquels il va travailler sur un reportage pour Envoyé Spécial. "La guerre de la Polio" recevra le Prix Albert-Londres en 2014. Aux yeux de son père, le journalisme n’est rien, si ce n’est une activité décadente, son fils est une cause perdue, et la fierté de ramener un prix n’y change rien.

Taha continue alors son chemin. Chef de bureau de l’agence Babel Press, il réalise des enquêtes pour le New York Times et le Guardian et couvre la série d’attentats qui frappe le Pakistan. Il va croiser Chiraz, son ami étudiant rebelle, devenu docile et ultra religieux. La liberté de la presse se restreint. Les autorités font pression. Taha craint pour sa vie. Alors qu’il prend le chemin de l’aéroport pour prendre un avion pour Londres, il est enlevé par des hommes lourdement armés en kalachnikov, il ne devra son salut qu’à un embouteillage, sa porte non verrouillée, son audace de l’ouvrir et s’enfuir.

Il regagnera Paris avec sa femme. Nous sommes en 2018, le 5 avril. Le 5 avril, Taha Siddiqui publie dans le Guardian une lettre ouverte au chef de l'armée pakistanaise reprochant que faute de liberté de la presse au Pakistan, il ne peut plus vivre dans son pays. La même année, il lance une plateforme de médias numériques, Safenewsroom, ouverte aux enquêtes journalistiques menées dans les pays du Sud Est.

A Paris où il ne connaît personne, il ouvre le Dissident Club, un café ouvert à tous les journalistes dissidents, chassés de leurs pays, à celles et ceux qui épousent leurs causes. Son histoire, il la raconte dans une bande dessinée publiée chez Glénat : Dissident Club, chronique d’un journaliste pakistanais exilé et c’est passionnant. Si Taha n’avait pas croisé la profession reporter, n’aurait-il pas cédé sous la pression d’une société qui fait de l’individu une personne religieuse, en infiltrant la famille, les amis, les écoles, les autorités, les associations ?  

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