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Les zones noires de la guerre : viols, traumatismes, destructions, et des morts par milliers

Maurine Mercier, grand reporter suisse, essaie de libérer la parole sur les sujets sensibles de la guerre. Primée au Prix Bayeux des correspondants de guerre pour un reportage sur le viol à Boutcha, Maurine Mercier a cherché à consolider un lien de confiance avec les soldats ukrainiens au front. 

Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un bâtiment administratif de  Mykolaïev en Ukraine, qui abritait notamment le bureau du gouverneur de la région. (MAURINE MERCIER / RADIO FRANCE / RTS)

La guerre dans l’info, ce n’est pas qu’une histoire d’offensives et de contre-offensives, ce n’est pas que de la stratégie militaire, ça ne se limite pas à des effets d’annonces, des chocs émotionnels devant les images de civils bombardés, c’est aussi et surtout toutes les zones grises et noires qui se glissent dans les interstices des faits de guerre. Le tissu social disloqué, les morts et les destructions, des traumatismes, des prostrés et des gens qui meurent par milliers.

La guerre, c’est dégueulasse, et le reporter doit faire en sorte, et tant pis pour le caractère anxiogène, de le rapporter. C’est l’objectif que s’est fixé Maurine Mercier, grand reporter suisse de la RTS et Radio France. Enregistrer les paroles qui portent l’authenticité d’une guerre faite de nuances. 

Rien n’est binaire et surtout pas une guerre. Bien sûr, il y a un agressé et un agresseur. Mais l’agressé, surtout face à une disproportion des forces peut aussi, se défendre avec violence. On ne dit jamais assez à quel point la guerre redonne à l’homme son caractère animal. De la gestion de la peur à la capacité de tuer. Surtout pour une armée qui compte dans ses rangs de nombreux civils qui ont tout plaqué pour rejoindre le front. 

Et dans les interviews rapportés dans les journaux, on a toujours la force, la vaillance, la capacité à résister. Un soldat doit montrer qu’il surmonte l’épreuve, l’officier affirmer des jours meilleurs, même quand ça va mal. On ne perd pas une guerre quand on perd une bataille. Mais sur les faiblesses, les psychismes qui se fragilisent, le sens de ce que l’on fait, qui se délite jour après jour, c’est tabou. On aura toujours la littérature pour le raconter plus tard, les historiens pour le documenter, mais dans le temps présent, comment le reporter de guerre peut-il évoquer ces zones grises ?  

Correspondante pour Radio France en Ukraine, Maurine Mercier a recueilli le témoignage d'un combattant à Mykolaïev, dans le sud du pays. Des paroles rares sur la vulnérabilité du soldat.  (MAURINE MERCIER / RADIO FRANCE / RTS)

"On ne sera plus jamais comme avant, on est cramés..."

Maurine Mercier s’est attelée à recueillir ces paroles précieuses. Ça prend du temps. Si on prend l’exemple de Youri, témoignage rare que la journaliste a recueilli, ce sont des jours et des jours de discussion avec lui. Le lien de confiance ne suffit pas.

À Mykolaïev, dans le sud du pays, Maurine va tisser un lien avec Youri pour obtenir une parole rare. Celle de la vulnérabilité du soldat. Les potes insomniaques ou ceux au contraire qui ne font que dormir d’épuisement. La saloperie de la guerre, on parle de zones grises, mais ce n’est que du noir, risquer sa vie et en tuer pour préserver la sienne, dans les villes où l’on a grandi, où l’on était enfant et qui ne sont plus que ruines, cendres, et corps bouffés par les chiens, et toi qui dois te terrer comme une bête.

Se planquer dans les écoles où ne viennent plus les enfants, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’autres endroits où aller. La transformer en caserne, et les espions russes en civil donnent les coordonnées pour que l’école soit bombardée avec les quartiers résidentiels autour, les fameux dommages collatéraux qui ôtent la vie d’innocents, et détruisent tout ce qu’ils ont construits.

Ce qui était une école, transformée en caserne à Mykolaïev en Ukraine. Des lieux cibles pour les bombardements et des morts à chaque fois, combattants et civils.  (MAURINE MERCIER / RADIO FRANCE / RTS)

La guerre, c’est dégueulasse, les gens meurent dedans, les civils mais aussi les soldats. Les copains autour, les Russes de l’autre côté. Autrefois frères et cousins, aujourd’hui ennemis animés d’une haine farouche, qui conduit aux violences et aux exactions, une haine irrationnelle, le goût du sang, celui de la violence qui appelle la violence de la vengeance, et en toile de fond la perte de sens, qui a voulu ça ? Pourquoi ? Où sont les nazis ? Qui doit-on libérer et de quoi ? On ne sait plus rien sauf que celui dans la tranchée d’en face est un fils de pute que l’on doit tuer.  

Libérer la parole

Maurine Mercier, dernière lauréate du prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre pour son reportage sur les viols à Boutcha, y attache une importance fondamentale. Les femmes violées, encore une parole de victimes qu’il faut aller chercher. Des jours et des jours pour des heures de confession, mais une seule fois. Ensuite, elle ne parlera plus de ces huit soldats qui la violaient par tous les trous sauf les oreilles, et elle laissait faire pour que sa fille de 13 ans soit épargnée, ils étaient ivres, ils avaient tué avant par excitation, ils n’avaient rien d’humain et tiraient dans le portail pour annoncer leur arrivée.

Ce prix, larmes aux yeux, Maurine l’a dédié à cette femme qui a survécu pour sa fille, après avoir voulu mourir, elle l’a dédié à toutes les victimes qui parlent pour documenter cette guerre, parce que oui, et définitivement oui, la guerre c’est dégueulasse, et même ceux qui veulent la faire, meurent dedans.       

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