Profession : reporter. Fixeur en Birmanie
Fixeur n'est pas un métier, on le devient par défaut. L'histoire de Nay, chauffeur de taxi dont la station se trouvait au bout de la rue de notre correspondante en Birmanie, Juliette Verlin, en est le parfait exemple. Quand le Covid a suspendu son activité, et que le coup d'Etat est survenu, il a accepté la proposition de la journaliste française : devenir son fixeur. ça tombait bien. Il l'avait déjà fait par le passé.
Fixeur n'est pas un métier, encore moins une vocation, on le devient par défaut dans un pays en guerre, un territoire ravagé par une crise économique, une région sous le joug d'un régime totalitaire.
Parce que pour moult raisons, on ne peut plus exercer sa profession d'origine, et grâce à la maîtrise de langue étrangère, on devient alors fixeur pour gagner sa vie, nourrir sa famille, mais aussi pour répondre d'une certaine manière à une forme d'engagement.
Le fixeur, c'est l'assurance tout risque du journaliste étranger, qui débarque souvent avec une connaissance somme toute limitée du pays et parfois de la langue. Il porte une valeur éditoriale. Aux journalistes qui exposent les lignes de son reportage, le fixeur propose des interlocuteurs, des lieux de reportages qui répondent aux besoins. Il intervient aussi si l'idée journalistique n'est pas bonne ou trop caricaturale. Il est le grand ordonnateur logistique. Il conduit ou recrute un chauffeur, il connaît le niveau de dangerosité des zones, il fait éviter les pièges et en cela, il garantit une sécurité à minima.
Très souvent, le fixeur est soucieux du respect des nuances. Très attaché au fait que la vision rapportée par le journaliste corresponde à la réalité et n'entretienne pas les clichés. Parler de son pays sur le ton le plus juste qui soit.
Nay est chauffeur de taxi à Rangoon
Enfin, il était chauffeur de taxi. Le Covid-19 a suspendu l'activité. Mais comme sa station est au bout de la rue de Juliette Verlin, la correspondante de Radio France et RFI en Birmanie, la journaliste a eu l'occasion de le rencontrer plusieurs fois.
Aux premiers tirs du coup d'Etat, Juliette propose à Nay, sans emploi, de devenir son fixeur. Il accepte, il l'avait déjà fait par le passé. Sans lui, elle n'aurait pu se rendre dans les zones les plus concernées par les manifestations, les répressions. Elle rencontre des interlocuteurs inconnus de son carnet d'adresse. Il la conduit dans des endroits où étrangère, elle n'aurait pu se rendre seule.
De cette relation où le lien de confiance se tisse avec l'intensité des journées vécues, le lien d'amitié est inévitable. Parce que les moments partagés sont forts et douloureux. Chaque reportage, chaque interview donne lieu à des conversations entre eux. Juliette sent la colère monter en Nay, une colère au diapason de ce que ressentent les Birmans, face à la junte qui répand la violence, les persécutions et la mort.
Et puis la colère se mue en besoin d'engagement
D'abord en solidarité avec les victimes, puis en nécessité de prendre les armes. Cette semaine, Nay demande à Juliette de ne plus chercher à le joindre. Il a envoyé sa femme et sa fille loin de la capitale, il a fermé les profils de ses réseaux sociaux et rejoint un camp de la KNU, l'Union nationale karen, l'un des principaux mouvements de rebelles à la junte militaire de Birmanie. Il va se battre avec un arc et des flèches.
Juliette Verlin en a fait un thread sur Twitter. Le départ de Nay, c'est un vide. Et une vive inquiétude.
A day after the coup regime stormed and killed more than 60 people at a key protest stronghold in eastern Bago, residents continued to hold anti-coup rallies in western Bago. Here is our story about yesterday’s violence - https://t.co/Le3ZQBNxhh #WhatsHappenigInMyanmar pic.twitter.com/Z6aFl2zZTZ
— Myanmar Now (@Myanmar_Now_Eng) April 10, 2021
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.