Ukraine : la douleur partout
Alors que dans les environs de Kharkiv, les Ukrainiens reprennent aux Russes des territoires entiers, les reporters découvrent des champs de désolation. Fosses communes dans la forêt d’Izioum, villages rasés, corps abîmés et têtes fracassées, le micro du reporter devient un exutoire. Boris Loumagne et Éric Audra était dans le nord-est de l’Ukraine cette semaine.
Des crimes de guerre ont été commis en Ukraine par l’armée Russe. Les enquêteurs des Nations-Unies l’ont déclaré avant-hier, vendredi 23 septembre, près de 7 mois après le début de la guerre. Eux qui récoltent les indices depuis le début de cette guerre sont formels. De Boutcha à Marioupol, d’Irpin à Sumy, au nord de Kharkiv, les éléments sont probants.
Et on l’a vu et entendu dans les reportages de guerre, les découvertes macabres n’ont pas manqué : charniers, preuves d’exécutions sommaires de civils, actes de tortures, viols collectifs, bombardements d’hôpitaux jusqu’à la maternité de Marioupol. La violence engendre la violence. Même quand il y a un agresseur et un agressé, l’agressé aussi peut se rendre coupable d’exactions. Le temps long des enquêtes le dira. Mais aujourd’hui, la grande majorité des crimes de guerre est imputée à l’armée russe. Les Ukrainiens sont si attachés à montrer leur souffrance aux yeux du monde qu’ils pêchent parfois par excès de communication.
La communication, l’arme ultime des belligérants
Si des reporters sont parfois des cibles sur les lignes de front, c’est qu’ils dérangent. Ils enregistrent, ils notent, ils réfléchissent, ils analysent, ils interrogent. Tout le contraire d’un narratif huilé par les militaires pour la propagande. Et la communication part toujours des deux camps. Depuis toujours, la guerre de l’information est une autre ligne de front. Ainsi, quand l’armée ukrainienne a libéré des territoires au sud de Kharkiv, Kiev a aussitôt évoqué la découverte de charniers dans la forêt d’Izioum.
Éric Audra, ingénieur du son à Radio France, et Boris Loumagne, grand reporter à franceinfo étaient en reportage dans la région. L’armée ukrainienne a aussitôt organisé une journée pour la presse, pour permettre aux journalistes d’accéder à la forêt pour se rendre compte. C’est donc avec prudence, méticulosité que les reporters ont progressé au milieu des médecins légistes et d’enquêteurs scientifiques.
Les fosses communes à Izioum
A Izioum, la grande majorité des morts ont péri sous les bombes russes avant l’occupation de la ville, et ont été enterrés là. L’odeur est pestilentielle. Plus loin, une fosse commune avec 17 cadavres de soldats à l’intérieur. Dans les villages dévastés, le micro tendu pour converser autour des situations subies devient un exutoire. Boris Loumagne le confie : une seule question peut entraîner une réponse qui va durer trente minutes, une heure, une heure et demie.
Cette femme violée et qui ne s’est pas suicidée pour élever sa petite-fille, maintenant que les Russes sont partis, elle et son frère veulent retrouver les violeurs pour les tuer. Cette mère de famille sans nouvelles de son enfant disparu, "aidez-moi à le retrouver", implore-t-elle à nos reporters impuissants. Cette vieille dame qui souffre et qui a faim, aimerait que Boris lui envoie des colis alimentaires par la poste, une fois rentré à Paris, mais quelle poste ? Aucun service postal ne fonctionne plus en Ukraine.
Depuis 6 mois que les habitants sont sous occupation russe, ils n’ont vu personne, à part leurs voisins, et les Russes, qui quadrillaient la ville. Et surtout, à quelques encablures de la frontière, ils entendent l’agitation de Moscou qui veut reprendre sa position, et personne ici ne sait combien de temps les Ukrainiens pourront préserver la ville.
Éric Audra et Boris Loumagne vont rentrer. Ils ont absorbé tant de douleurs dans les récits terribles qu’on leur a confiés, qu’ils se demandent s’ils n’ont pas servi de psy à une population qui en est dépourvu. Et puis il y a encore dans la tête, ces corps de la forêt d’Izioum, et cette putain d’odeur.
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