Ukraine : sur les traces de l’horreur
La déchirure et la haine s'installent en Ukraine. Dans "Profession reporter", Étienne Monin, grand reporter à franceinfo, évoque "une guerre médiévale", une guerre d'artillerie.
Un vélo roule devant des maisons en ruines. C’est une photo de Gilles Gallinaro qui induit un mouvement, celui du cycliste qui passe presque nonchalamment, là où tout s’est arrêté parce que détruit, sali, réduit, enterré. Ce cycliste, on ne sait pas d’où il vient et quelle est sa destination.
C’est avec ce même calme, qui ne doit pas être proche de la sidération, pour laisser intact les facultés d’analyses, que les reporters Étienne Monin et Gilles Gallinaro ont avancé dans les rues de Kharkiv et dans les environs de Soumy. Dans les villages pris par les Russes, occupés par les Russes puis repris par les Ukrainiens. Mais ce qui est repris devra être reconstruit.
Avec ces tranchées, il y a un arrière-goût de 14-18
Dans la zone de Soumy, au nord de Kharkiv et à quelques kilomètres de la frontière russe, Étienne Monin, grand reporter à franceinfo découvre les traces d’une bataille à l’ancienne. Une guerre d’artillerie. Ici, les deux camps se sont faits face, dans leur tranchées, dans la boue, le froid, la neige.
Les nouvelles technologies, c’est seulement dans les airs. A terre, on creuse, on se planque, et on vise l’ennemi. Dans les airs, il y a les missiles supersoniques, les bombes thermobariques à surpression. Il suffit de voir les cratères que leurs explosions provoquent. Toujours dans l’appareil de Gilles Gallinaro, le maire d’Ohtyrka descend dans un de ces cratères pour montrer, à l’image, la dimension du souffle.
Dans ce trou, l’homme apparaît minuscule. Et Étienne Monin y voit une volonté d’écrasement. Les Russes veulent réduire les Ukrainiens à l’infiniment petit. Comme l’explique le reporter à l’antenne, c’est comme si un géant avait pris les maisons dans ses mains, les avait malaxées puis avait tout jeté à terre, les débris, le calciné qui ramasse tout, les bris de verre qui n’existent même plus, les immeubles éventrés à des centaines de mètres à la ronde.
Les Russes veulent réduire les Ukrainiens à l’infiniment petit
Cette sensation, Étienne l’a également ressentie dans le métro de Kharkiv, là où les vies se sont réfugiées pour devenir minuscules, comme si le minuscule permettait de rester en vie. Pour les familles, l’espace vital est devenu cette marche d’escalier sur laquelle elles ont posé le matelas, leur matelas, pour dormir, et tout autour c’est l’intime, le chez-soi dérisoire qu’on organise à travers quelques affaires qui donnent l’illusion du refuge personnalisé.
A Kharkiv, la vie en surface n’est qu’à l’extérieur de la ville. Étonnant de voir que dans les ceintures sud et ouest, on vit presque normalement en se demandant aussi combien de temps cette situation va perdurer. Au Nord, le centre est ville fantôme. L’Est et le Nord sont toujours bombardés. Et de temps à autre, un char russe fait une incursion, tire et se retire.
Alors qu’Étienne Monin et Gilles Gallinaro découvrent les villages entre Soumy et Kharkiv, Boutcha, à l’ouest de Kiev, n’a toujours pas révélé ses horreurs aux yeux du monde. Mais les témoignages que recueillent nos reporters ne laissent que peu de doute sur les comportements inappropriés de l’armée russe.
Même en temps de guerre, des droits existent, surtout pour les populations civiles. Les témoignages sont sans équivoque, ce sont bien les Russes qui ont frappé, violé, tué, et pillé. C’est sans doute dérisoire, mais ils ont systématiquement embarqué partout où il passait les télés, les tablettes, les téléphones et l’alcool. Des soldats n’ont pas à se comporter comme des pillards.
Et si à Paris, les journalistes qui présentent les éditions sont parfois prudents dans leurs formulations quand ils relatent massacres et exactions, préférant imputer les massacres aux Russes plutôt que de les qualifier tels quels, les reporters sur le terrain recoupent les témoignages et comprennent bien ce qui s’est passé quelques jours avant qu’ils n’arrivent sur les lieux. Ils peuvent affirmer ce qu’ils rapportent.
Sur les crimes commis par des Tchétchènes pro-russes, des miliciens de Wagner ou des groupes venus de Damas, il est plus compliqué de savoir ce qu’il en est exactement. Pour cela il faudrait rester plus longtemps, enquêter.
Et pour des raisons de sécurité, on ne s’attarde pas sur les lieux, on reste deux nuits grand maximum. On fait quelques incursions dans les zones plus exposées pour vite revenir, et repartir sur une base de repli, repérée plus tôt. Et en s’éloignant alors que la nuit va tomber, difficile de chasser les images entêtantes de cette journée de reportage, ces choses vues, senties, entendues.
Et on s’accroche à l’image d’un baiser qu’on imagine dans le métro de Kharkiv. Cette marche où il y a le matelas, où les corps se serrent fort pour goûter le plaisir d’être encore ensemble. Encore un petit peu.
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