Réformer l'école, mission impossible ?
Son titre : Du
changement dans l'école...**** Et son sous-titre annonce le
projet : Les réformes de l'éducation de 1936 à nos jours. Sa lecture – je
tiens à le préciser – est extrêmement agréable, c'est un ouvrage de spécialiste
mais qui peut vraiment intéresser les non spécialistes.
Premier enseignement : le changement ne vient pas forcément
d'une réforme, encore moins d'une loi.
Eh oui. La mixité s'est imposée d'elle-même, sans loi, sous la
pression de la société. Beaucoup d'autres changements importants ont été
décidés sous forme de décrets, parfois de circulaires. Ce fut le cas sous Jean
Zay par exemple. La loi est une possibilité mais pas une obligation.
Une possibilité... qui marche ?
Pas à tous les coups. Ce que montre ce voyage au pays des
réformes, c'est que l'Education nationale réussit globalement ses réformes de structure,
mais pas ses réformes pédagogiques. Réformes de structure : le collège
unique, la décentralisation, les Zones d'éducation prioritaire, le bac
professionnel... Ils existent toujours. Ont-ils réussi au plan pédagogique ?
C'est moins sûr. On est frappé en lisant le livre par la modernité des
propositions faites sous jean Zay par xemple, et juste après guerre. Vous avez
déjà tous les termes dont on parle encore aujourd'hui : travaux de groupe,
pédagogie fondée sur l'observatoire et l'induction et pas seulement sur le par
cœur et la déduction, sur l'étonnement, la découverte, il y a aussi l'expérience
après guerre des classes nouvelles où on pratique cette pédagogie inversée dont
on reparle aujourd'hui avec l'avènement des Moocs, les cours massifs en ligne... Mais
" les pédagogues étaient cantonnés dans quelques réserves, comme des " peaux-rouges "
de l'EN ", dit Antoine Prost. Résultat, à chaque fois le changement afflue
puis reflue. " On peut tout changer à l'EN, écrit encore l'historien dans
sa conclusion, sauf la façon d'enseigner ".
Pourtant l'école de 2013 n'a pas grand rapport avec celle
de 1880.
C'est le fruit de deux grandes périodes qui, chacune, a duré
une vingtaine d'années. Les lois Ferry et ce qui s'ensuit – 1880-1902 -, puis
la refondation gaullienne et ce qui s'ensuit – 1960-1985. La première
bouleverse le primaire, la seconde le secondaire, du collège unique à la
naissance des bacs professionnels. On passe d'une école que l'on quitte
massivement en ayant appris à lire, écrire et compter, pour aller travailler
dans les champs et dans les usines, un enseignement " autonome, qui
débouche sur la vie active " rappelle Antoine Prost, et tant pis pour les
élèves qui ne savent pas lire – et en 1938, c'est encore le cas de la majorité
des élèves âgés de 10 ans, donc les nostalgiques de l'âge d'or déplorent un
temps où l'illettrisme dominait -, une école où la bourgeoisie était éduquée à
part, dans des lycées alors payants bien que publics, on passe de cette école à
une école massifiée où 70% d'une classe d'âge accède au baccalauréat.
... et où les CSP+ - puisqu'on ne dit plus " la
bourgeoisie " - continuent à se tailler la part du lion...
Oui. C'est sans doute le principal échec du système :
l'école, qui est littéralement habitée par la mythologie égalitaire, ne
parvient toujours à compenser les inégalités de naissance. Elles sont pourtant
mises en lumière dès le milieu des années 50 ; dix ans après les
sociologues Pierre Bourdieu et Alain Passeron confirment dans des ouvrages
référence comme Les héritiers et La reproduction. Rien n'a changé depuis :
le social l'emporte toujours sur le scolaire.
Y a-t-il une explication ?
Un faisceau d'explications en tout cas... Qui converge tout de
même sur le collège, théâtre d'une bataille d'influence entre le primaire et le
lycée – et c'est le lycée qui l'emporte à chaque fois. On a donc un collège qui
est à la fois censé amener tout le monde à la maîtrise d'un socle commun et en
même temps présélectionner les futures élites. Dans un cas, on est plus dans la
philosophie de l'école primaire, école du peuple, qui n'a jamais négocié le
fait qu'elle devait accueillir tous les enfants ; dans le second on est
dans l'esprit sélectif du lycée, qui cherche à identifier les futures recrues
de ses classes préparatoires aux grandes écoles. Cette tension n'a jamais été
résolue.
Alors la faute à qui ?
A tout le monde et donc à personne en particulier. On peut
reprocher aux enseignants une forme de conservatisme, mais on constate aussi
que quand on prend la peine de les écouter, de partir de leur expérience, de
les former aussi, eh bien les changements sont possibles. On peut reprocher aux politiques d'être
atteints de réformite aiguë, alors que l'auteur estime qu'il faut vingt ans
pour savoir si une réforme a marché ou pas (il rappelle que Ferdinand Buisson,
mythique directeur de l'instruction primaire de Jules Ferry est resté en poste
17 ans), mais pourtant ils tentent des choses. On peut reprocher aux familles
notamment bourgeoises de chercher en permanence des dérivatifs dès que le
système prétend uniformiser les cursus, mais le système ménage lui-même ces
dérivatifs et n'a de cesse de recréer à la fois des niches d'excellence et des
filières de relégation. La conclusion du livre est pessimiste sur le court
terme, mais se veut malgré tout optimiste : les enseignants n'ont pas le
choix, estime Antoine Prost, ils sont en face des élèves toute la semaine et
ont à cœur de bien faire. Les pratiques divergent parfois des instructions
officielles voire du " discours identitaire collectif ". On retrouve
là l'idée que porte Ken Robinson, ce chercheur en éducation anglais dont nous
présentions le livre la semaine dernière, idée selon laquelle la révolution scolaire
viendra par la base.
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