Covid-19, quatre ans après : "Le lien numérique est devenu le premier lien entre les hommes, c'est une révolution considérable", estime Jean Viard
Il y a 4 ans, le 17 mars 2020, la France entamait un premier confinement de deux mois pour tenter de barrer la route au coronavirus. Emmanuel Macron, dans une allocution télévisée, demandait aux Français de changer de vie. Plus de déplacements autres qu'essentiels. Une rupture historique dans l'histoire des humains et de la planète. Une "période traumatique" explique Jean Viard.
franceinfo : L'annonce du confinement par Emmanuel Macron a fait qu'en quelques semaines, des choses très profondes ont changé. Des choses durables encore aujourd'hui ?
Jean Viard : D'abord, c'est un souvenir triste. Il y a eu des morts, des séparations, On n'a plus pu se parler, se voir, on a eu très, très peur. Les enfants ont eu très très peur, plus encore que les adultes. Donc c'est d'abord une période traumatique. Mais en même temps, quand on regarde les études, au fond, plein de gens ont été heureux : être chez eux, deux mois, payés à ne pas travailler. Pour certains, c'était dramatique, mais pas complètement. Il faut avoir ces deux côtés. Mais écoutez, c'est la première bataille mondiale de l'humanité.
C'est la première fois dans l'histoire humaine depuis des milliers d'années que toute la terre mène le même combat. On était plus de 5 milliards à être enfermés chez nous. Ce n'est pas qu'en France et au fond à l'avoir accepté, alors les régimes totalitaires mettaient des policiers partout, etc.
Nous, on a été parfois un peu ridicules : interdiction de marcher sur les plages, interdiction d'aller en forêt. Enfin, on avait l'impression qu'on était face à des fonctionnaires devenus complètement fous, mais sur le fond, c'est la première bataille mondiale de l'humanité, parce que c'est la première fois qu'il y a une pandémie qui nous touche tous en même temps, et on le sait. Il y a déjà eu des pandémies, des choléras, des pestes, on a tous appris ça, mais on ne savait pas d'où ça venait, et donc on n’éprouvait pas ce sentiment de la bataille planétaire.
Et donc ça, c'est la première bataille planétaire pour la vie. Et je retiens ça, parce qu'on voit tout le temps des guerres, des massacres et on ne va pas en faire le tour aujourd'hui, c'est la grande bataille planétaire pour la vie, et elle a commencé, et ça va continuer avec la guerre climatique.
On a beaucoup parlé d'un monde d'après à l'époque. Donc le monde d'aujourd'hui, est-ce qu'il ressemble à ce que vous imaginiez alors ?
Il n'est pas radicalement différent, ce qui est relativement normal. Le traumatisme est toujours là. Regardez, un étudiant sur deux est traumatisé et dépressif. Moi, je suis très sensible aujourd'hui au taux de suicide des jeunes filles, qui avaient 8, 9 ans, en 2020. On voit très bien les conséquences. On pourrait prendre d'autres exemples : les violences dans les couples, les séparations dans les couples, les accidents de voiture. Il y a moins d'accidents, mais les gens qui roulent plus vite, presque les guerres. Donc il y a un niveau de montée de la violence.
Donc, on est traumatisé, et il y a 2 millions de gens en France qui ont eu un Covid long. Après, la société a compris d'un coup, brutalement, le réchauffement climatique, et c'est ça que je trouve fascinant. Avant bien sûr, on avait déjà conscience du réchauffement climatique, il y avait des lanceurs d'alerte, bien sûr, mais je pense qu'on a pris conscience de notre capacité à changer nos comportements pour gagner la guerre climatique.
Et plus proche de nous, de notre quotidien en tout cas, qu'est-ce qui a changé, qu'est-ce qui est le plus frappant d'après vous, dans notre rapport au temps, à l'espace, aux loisirs, le logement ?
L'élément central, c'est l'invention du télétravail. Il n'y a aucun doute là-dessus. On est 30% à faire du télétravail tout, ou partie de notre temps, ce qui permet d'être plus souvent dans sa résidence secondaire, pour les 4 millions de familles qui en ont une. Ce qui a permis à des dizaines de milliers de gens de quitter les grandes villes pour habiter à côté. Un peu plus loin. Regardez Paris qui perdait 10.000 habitants par an, en a perdu à peu près 70.000, mais l'Ile de France en a gagné.
Au fond, on s'est tous dit : attends, si ça recommence, comment je vivrai ? Si on peut le faire, une maison avec un petit jardin, pas trop loin d'une grande ville, si possible le long d'une voie de transport, TER ou TGV, pour ne pas prendre sa voiture. L'explosion du vélo dans les villes, évidemment. Donc une nouvelle idée de la ville.
Mais moi je mets le télétravail au centre, parce qu'il modifie le rapport au lieu. Il accentue le phénomène des 35 h et des congés payés, de la retraite. C'est un nouveau rapport entre l'espace et le temps. Et derrière ça, il va y avoir la semaine de quatre jours. Et on travaille plus en étant plus chez soi, c'est ça qui va se chercher et je dirais que c'est le point central du changement.
Avec aussi quelque chose dont vous parlez souvent, c'est tout ce qui tourne autour de la livraison, qui là aussi permet d'appréhender l'espace et le temps différemment ?
Oui, c’est-à-dire que les deux mots qui ressortent des études d'opinion après ça, c'est le proche et les proches, parce qu'on s'est replié sur la famille et sur autour de chez soi, par définition, on n'avait plus le droit de toute façon. Et donc ça renforce le rôle du marché, le rôle de la salle de sport, le rôle du collège, c’est-à-dire cette vie de proximité, mais cette vie de proximité, elle est en couple avec le monde numérique.
L'essentiel des biens culturels circule sur le numérique, 30% des emplois, la vie sexuelle, n'en parlons pas, et les consommations culturelles et la livraison. La semaine dernière, j'ai lu que 70% des Français avaient commandé quelque chose par leur téléphone portable. Donc on va vers un monde de livraison et de proximité. C'est un peu ça qui se passe. Et ça, c'est évidemment un élément central, parce que moi, Skype et Zoom, je m'en étais jamais servi avant le Covid.
Et je pense que beaucoup des gens qui nous écoutent ont fait la même expérience, y compris dans l'intrafamilial, pour parler avec les grands-parents, etc. et ça, c'est un changement. Le lien numérique est devenu le premier lien entre les hommes. C'est une révolution considérable.
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