Crise climatique : "C'est le climat qui fait l'histoire, avant depuis la révolution industrielle, c'était l'homme qui faisait l'histoire", Jean Viard
Cette semaine, on a beaucoup entendu ce mot "écoterrorisme", utilisé par Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, pour évoquer les actions des opposants aux méga-bassines de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.
Manifestations contre les méga-bassines dans les Deux-Sèvres, actions de militants écologistes avec ces jets de soupe sur des tableaux dans les musées ou sur des routes pour dénoncer l'inaction politique, dans les musées ou devant des lieux publics, le réchauffement climatique provoque des actions et des crispations qui se multiplient partout dans le monde. C'est la question de société du jour avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS.
franceinfo : Pourquoi cette question est-elle aussi clivante ?
Jean Viard : D'abord, le mot du ministre est un peu absurde, une bombe de peinture, ça tue personne. Quand on voit la violence du terrorisme islamiste, du terrorisme d'extrême droite en France en particulier, mais en Europe aussi, je crois qu'il faut quand même laisser aux mots leur sens et le respect pour les victimes.
La deuxième chose, c'est qu'effectivement, il y a de l'agit prop qui est la tradition d'ailleurs des mouvements écolos depuis très longtemps. Ils ont coupé des OGM dans les champs, ils ont démonté le McDo de Millau, ils ont le sens de ce genre de manifestation. La question, c'est qu'aujourd'hui, le monde a compris la crise climatique. On a tous compris que la grande bataille de l'humanité dans les années qui viennent, c'est la lutte contre le réchauffement climatique. Le problème c'est : est-ce que ce type d'action renforce cette prise de conscience et la décision des politiques ou pas ? C'est ça le débat. On peut penser que ça crispe une partie de l'opinion publique, mais je ne trouve pas ça très grave, honnêtement, mais ça crispe.
Les bassines, c'est un peu différent parce que c'est une vraie question à court terme. Au fond, la question des agriculteurs qui paniquent un peu devant la sécheresse et le manque d'eau, donc qui mettent en place des systèmes de stockage de l'eau, c'est plutôt des réserves que des bassines, sans forcément qu'on ait fait toutes les études techniques pour voir si ça a des conséquences en aval et dans certains endroits. Je comprends que les agriculteurs ont besoin d'eau. Je pense aussi que beaucoup des gens qui les critiquent n'ont jamais fait d'agriculture. Donc, il y a tous ces sujets-là.
Que ce soit sur cette affaire des super bassines ou ces tableaux qui sont "vandalisés", c'est finalement un manque de dialogue entre deux mondes qui ne se connaissent pas forcément ?
Mais ça, c'est fondamentalement vrai. Mais c'est surtout qu'on est entré depuis la grande pandémie dans une nouvelle période historique, on est dans des affrontements qui ont du sens. Donc moi, comme sociologue, je dis : le commun du monde de demain, c'est la guerre au climat, c'est le climat qui fait l'histoire, alors qu'avant c'était l'homme qui faisait l'histoire depuis la révolution industrielle, depuis toujours. Et là, au fond, on court après le climat qu'on a nous-mêmes déchaîné. Donc, il y a différentes façons de le faire et on va en discuter, s'affronter lors des grandes émissions de télé – je trouve qu'on est en sous information là-dessus – et donc ça va être des affrontements politiques. Et après les gens votent, ils votent pour telle politique ou telle autre, mais quelque part, ça recrée du politique.
Des actions extrêmes ont eu lieu par le passé, et il y avait aussi des idées, des façons de contester qui étaient très violentes ?
Je ne dis pas que la violence n'est jamais utile, mais après, c'est des choix. On a aussi assassiné Georges Besse, le patron de Renault, on a assassiné Aldo Moro. En Espagne, y a eu énormément d'attentats terroristes qui ont tué énormément de gens, etc., donc l'objectif c'est qu'il n'y ait pas de violence et en même temps que la société puisse bouger. C'est pour ça qu'au début, j'ai été très critique sur le mot du ministre parce que ce n'est pas du terrorisme, il peut y avoir des formes violentes. En soit, qu'il y ait des manifestations, que les gens occupent les terrains etc, mais la question quand même, c'est qu'avant, on se soit parlé et que les gens sachent comment ça fonctionne, ce qui n'est pas toujours le cas.
Donc des deux côtés, comment sauver les agriculteurs qui nous nourrissent ? Et ce n'est pas un sujet secondaire de se nourrir. Et comme en même temps, de l'autre côté, se battre pour protéger les écosystèmes, ça nécessite sans doute plus de palabres, mais la vérité, c'est qu'on est pressé parce que le monde chauffe, donc on va être en permanence dans ces conflits.
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