Désobéissance civile : Selon Jean Viard, "On ne peut pas être contre l'eau partout, la société a massivement pris conscience de la crise climatique"
Avec le sociologue Jean Viard, que l'on retrouve tous les week-ends sur franceinfo, le samedi et le dimanche, pour décrypter une question de société, on s'interroge aujourd'hui sur les mouvements de désobéissance civile. Sont-ils plus efficaces que les partis politiques pour défendre l'écologie ? L'organisation Extinction Rebellion veut perturber aujourd'hui la circulation à La Rochelle. Une manif-action, comme elle est appelée, contre l'usage de l'eau par l'agriculture intensive.
franceinfo : Tout d'abord, est-ce que ce genre d'action vous semble-t-elle utile, efficace ?
Jean Viard : Je ne suis pas là pour juger, mais je ferai deux remarques. La première, c'est qu'il y a quelques années, aux élections européennes, les écologistes étaient entre 16 et 17 % dans leurs meilleurs scores. En ce moment dans les sondages, ils sont autour de 10, donc il faut bien voir qu'ils n'ont pas du tout progressé, alors que la société a massivement pris conscience de la crise climatique à cause de la grande pandémie, à cause du réchauffement climatique qu'on vient de vivre, de la fonte des glaces etc. L'humanité est entrée dans la guerre climatique.
Le problème, c'est : est-ce que les lanceurs d'alerte, ceux qui ont été très efficaces, et qui ont joué un rôle énorme depuis 50 ans – et incontestablement depuis 1974 et René Dumont – le mouvement écologiste a contribué à en faire prendre conscience. Aujourd'hui, je dirais la conscience est là. Quels sont les bons outils pour les transformations ? C'est tout ça le sujet.
Bien sûr qu'il faut qu'il y ait des mouvements de désobéissance civile : il faut qu'on se mette à discuter de l'eau. Il faut qu'on se mette à discuter de l'évolution de l'agriculture, mais il faut se dire qu'on est déjà dans le changement, et qu'il faut l'accélérer avec une intelligence des processus. On ne peut pas être contre l'eau partout. On ne peut pas non plus détruire le travail des agriculteurs. Donc on est entré dans une nouvelle période. Je ne suis pas toujours sûr que les mouvements écologistes se soient adaptés à cette période nouvelle de transformation.
Le choix de La Rochelle pour ce camp d'été de cinq jours, se conclut par l'action d'aujourd'hui sur la circulation, d'Extinction Rebellion. C'est la ville de La Rochelle – où il y avait beaucoup d'universités d'été politiques, à peu près à ce moment de l'année – formations politiques, mouvements de la société civile pourraient marcher main dans la main, ne pas s'opposer ?
Mais les grands partis n'existent plus. On n'est plus dans une période idéologique. Quand on voit la réunion de cette semaine du président avec les chefs de partis, on est en train d'essayer de faire du politique dans une société post-partisane. Il y a des camps idéologiques, il y a des systèmes de valeurs, bien entendu. Mais les partis en tant que tels, avec des dizaines de milliers de militants, de cellules de terrain, etc., en fait, ça n'existe plus. On est dans une nouvelle période où le politique se cherche. Pour ça, je ne porte pas de jugement.
Je pense qu'on est tous perdus. Il y a des mouvements qui partent des associations, il y a un rôle important du terrain, il y a des mairies qui font des trucs fantastiques. Et puis en même temps, il faut nourrir le débat. Il faut nourrir le débat sur l'eau par exemple. Ce que j'ai du mal à accepter, c'est quand y a des gens qui n'y connaissent rien, qui vous affirment qu'il faut mettre de bassines nulle part. L'agriculture, c'est très compliqué et difficile. Vous voyez, c'est cette complexité qu'il faut saisir. Mais après, qu'il y ait du débat public, qu'il y ait des gens qui protestent, ben tant mieux, tant mieux.
Hasard du calendrier cette semaine, des militants d'Extinction Rebellion et des militants d'Attac aussi, étaient jugés à Bobigny pour avoir bloqué et peint en rouge, l'année dernière, un terminal de l'aéroport du Bourget. Une action contre les jets privés et lors de cette audience, l'avocat des militants a lancé aux juges : "Ce que je vois, c'est notre génération qui on juge une autre". Ça joue beaucoup ça dans la perception de ces actions : une grosse différence générationnelle ?
Vous savez, il y a différents populismes dans nos sociétés. Il y a ceux qui dénoncent les immigrés, ceux qui dénoncent les entrepreneurs et les capitalistes, et ceux qui dénoncent les autres générations. Il faut faire très attention. Chaque génération fait son chemin. On a gagné 20 ans d'espérance de vie avec ma génération. C'est quand même extraordinaire. On est allé trop loin dans le rapport avec la nature, c'est incontestable, mais on ne le savait pas. Donc c'est facile de dire après, tout le monde le savait, oui, il y avait effectivement quelques personnes qui le savaient, mais ce qui compte, c'est comment l'opinion publique, les gens, nous, chacun comprend. En gros, on est dans une bifurcation.
Moi, je ne crois pas à un monde qui va ralentir. Je crois que l'homme est une espèce de fou, créatif, avancé, etc. On bifurque, on tourne. Alors la question c'est : est-ce que c'est un supertanker qui tourne ou est-ce que c'est un hors-bord ? Le hors-bord, ça tourne plus vite, mais il y a moins de monde dedans. La question, c'est comment on arrive à faire tourner le supertanker et à l'exciter dans le virage, si je peux dire une chose comme ça. Et c'est un peu ça, pour moi, l'enjeu, c'est cette capacité à entraîner les grandes foules, et pour le moment, les mouvements écologiques radicaux ne le font pas.
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