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En 2022, "La pandémie, les incendies, tout ça nous a jetés dans le bain du combat, je trouve que c'est une bonne nouvelle", estime Jean Viard

Que pouvons-nous retenir de l'année écoulée ? Les événements souvent tragiques que la planète a traversés ont-ils changé notre société ? Pour le dernier jour de 2022, bilan et décryptage avec le sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Augustin Arrivé - Jean Viard
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Une nouvelle année se présente. Doit-on se débarrasser de 2022 ? Quel regard porter sur ce que nous avons traversé ? La réflexion du sociologue Jean Viard est plutôt optimiste. (Illustration) (CARBONERO STOCK / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Quasiment chaque année, le 31 décembre, c'est la même histoire. Au moment de trinquer, nous nous disons (presque tous) :  2022, bon débarras ! Bienvenue 2023. La succession des crises sanitaires, économiques, géopolitiques également n'ont pas arrangé les choses. On en parle avec le sociologue Jean Viard. 

franceinfo : Nous sommes toujours contents, le 31 décembre, de laisser le passé derrière nous. Qu'est-ce que cela dit de notre mentalité ? Sommes-nous condamnés à être insatisfaits de ce que nous avons vécu ?

Jean Viard : Il y a une phrase que j'aime beaucoup qui dit : "L'avenir est ce qui nous reste à vivre". Vous me direz que c'est une platitude, mais au fond, on est toujours porté vers le futur, et donc le passé, il ne faut pas l'oublier, il faut vivre avec, mais dans un pays pessimiste : la France est un des pays au monde qui a la lecture la plus négative de ce qui lui arrive, de comment on vit, etc, alors que c'est quasiment un paradis sur terre. Il faut avoir ce regard très paradoxal.

On est dans une période de monde complètement bouleversé, mais il faut regarder les deux côtés, parce qu'il y a des batailles démocratiques magnifiques, même si elles sont totalement tragiques, on pense évidemment à tous ces jeunes, Iraniennes et Iraniens, massacrés par la police. Et en même temps, c'est une force de désir fantastique, dont il faut éclairer, il me semble, les deux côtés.

Qu'est-ce que vous retenez de positif en France, en 2022 ? Vous avez donné quelques exemples à l'étranger...

Je crois que la première chose, même si c'est la plus difficile à mesurer, c'est que nous avons tous compris que la guerre climatique, c'était l'avenir de nos sociétés. C'est vrai en France, et c'est vrai dans le monde. Du coup, voitures électriques, taxe à 15% sur les grandes entreprises au niveau européen, ce qui a été décidé à Bruxelles sur la taxe carbone aux frontières. Au Canada, la grande table sur la biodiversité, il y a tout ça. C'est ça le vraiment positif. Après, évidemment, une des choses essentielles, c'est quand même le recul du chômage. On a quand même depuis 2019, presque 800 000 salariés en plus. On a créé beaucoup d'entreprises.

Et puis, la question de l'art de vivre au travail est devenue centrale. C'est un sujet auquel j'ai toujours été sensible depuis que je travaille sur les 35h. On sent bien que partout, il y a plein de métiers, où on trouve plus de gens, parce que d'abord, ce n'est pas très bien payé, ensuite les horaires sont catastrophiques pour avoir une vie familiale. Et puis, la vie dans les très grandes villes, pour les gens qui ont des petits salaires, est difficile. Pourquoi ? Parce que après tout, avec un salaire modeste, on vit mieux si on n'est pas à Paris ; on peut trouver du travail.

Tout ça fait que l'individu place son art de vivre en premier. Moi, je trouve ça positif, alors on a des tas de discours un peu pleurnichards, sur la grande flemme, etc, non, on n'a jamais autant travaillé, et tant mieux, il y a moins de chômage. J'espère qu'on va arriver à continuer à ce qu'il y en ait encore moins, mais surtout les gens négocient des conditions de travail honorables, dans l'entreprise où ils sont, les horaires, le salaire bien sûr, mais pas seulement le salaire, y compris les débats à la SNCF, ce n'était pas que des questions salariales. Donc il faut se dire au fond, l'art de vivre a pris une place nouvelle dans notre quotidien. Moi, je vois ça comme une bonne nouvelle. 

Mais malgré la prise de conscience sur le climat, l'incertitude de cette crise climatique peut aussi faire que, au moment de dresser le bilan, on se dit cette année, ça a été une année quand même assez tragique ? 

Bien sûr, c'est une année tragique, par certains côtés, c'est évident. Les feux et les incendies, le climat, le fait que à midi, on va pouvoir sortir, se mettre dans son jardin, c'est à la fois une bonne nouvelle à court terme, mais une mauvaise nouvelle à long terme, ça, je suis d'accord, mais je crois que les sociétés – on le voit bien dans les études d'opinion – qu'est-ce que c'est le premier souci que nous avons, c'est la fin du mois, et ça, c'est la moindre des choses. Et puis le deuxième souci maintenant, c'est la bataille climatique. Alors qu'avant, on parlait chômage, on parlait immigration, insécurité, c'était des sujets qui étaient plus haut, et c'est vrai dans le monde entier.

Ce qui est original, c'est qu'on sort de la première bataille mondiale ou 5 milliards d'hommes ont mené le même combat. Ça, ça crée un nouveau commun. Le mouvement me semble fortement enclenché. Mais à court terme, et dans les années qui viennent, on va voir effectivement des tas de catastrophes qui seront la conséquence du fait qu'on a mis trop de temps à se motiver. Mais les sociétés ne peuvent pas se motiver tant qu'elles ne sont pas confrontées à la réalité. Or, la pandémie, les incendies, tout ça, je pense, ça nous a jetés dans le bain du combat. Et ça, je trouve que c'est une bonne nouvelle.

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