Moins de mariages : "On va vers une société d'individus qui vivent seuls, on a des vies discontinues, avec une explosion du célibat", souligne Jean Viard

Avec le sociologue Jean Viard, on se demande aujourd'hui pourquoi une majorité de Français ne veulent plus se marier. On se pose la question parce que ce week-end, c'est le grand salon du mariage à Paris, Porte de Versailles. Il y en a un peu partout des salons en ce moment.

2023 doit être une année record : 300.000 unions annoncées ; c'est le résultat des reports des dernières années à cause du Covid. Mais en réalité, il y a de moins en moins de mariages célébrés en France au fil des années, si on en croit l'Insee. En revanche, le nombre de Pacs augmente.

franceinfo : Comment vous expliquez ce paradoxe ? Moins de mariages, mais on cherche quand même à officialiser sa relation…

Jean Viard : Alors il y a une augmentation des Pacs, le pacte civil de solidarité, c'est vrai. Mais le mouvement de fond, c'est quand même effectivement, qu'on sépare la vie privée sous la couette, les bébés et les institutions, c'est ça qui se passe. Il y a en gros 60% des enfants qui naissent aujourd'hui hors mariage. Il y a, par exemple, en Île-de-France, à Paris, un mariage sur deux qui se défait avant cinq ans.

Donc, on est sur un nouveau modèle de vie où en gros, le mariage n'est pas la première étape. On peut très bien allé voir sa grand-mère en disant : mon amie est enceinte, ou je suis enceinte et elle ne va pas vous dire tout de suite : et tu te maries quand ? Ce qui aurait été le cas de ma grand-mère par exemple. Donc c'est un changement très fort.

Ça veut dire que ça relève du fait qu'on sort du cadre institutionnel. On est une société de liberté individuelle. C'est vrai pour la vie privée, c'est vrai pour la vie démocratique. On ne va voter, que si on est intéressé. Et moi souvent, je compare le taux d'abstention et les bébés au mariage. On va dire, ça n'a rien à voir, mais ça nous dit quelque chose d'une société d'autonomie de l'individu, qui est donc une société qui s'est déconstruite avec ses grands groupes.

Mais après, ça ne veut pas dire que les gens ne veulent pas s'engager, ce qui est effectivement le Pacs, parce que le Pacs n'apporte pas grand-chose à part l'unité fiscale. Et puis le statut, c'est une petite protection. Après, il faudrait aller voir dans le détail le rapport parce que, en gros, il y a à peu près 400.000 personnes qui se marient ou qui se pacsent par an. Alors là, en ce moment, avec la pandémie, on en a plus parce qu'il y a eu un effondrement en 2020. Et donc il faut faire attention aux chiffres. 

Il y a un rattrapage…

Et là-dedans, il y a à peu près 15.000 unions de gens du même sexe, pour donner des ordres de grandeur dans ce qui se passe. Moi, si j'ai un conseil personnel à donner aux gens, mariez-vous en prenant votre retraite, parce qu'à ce moment-là, vous avez droit à la pension de réversion. 

C'était le bon conseil du jour de Jean Viard... Est-ce que c'est aussi quelque part une remise en question du couple, si on voit plus large ?  

La vérité, c'est qu'on va vers une société d'individus qui vivent seuls. On a une explosion du célibat. On le voit aussi partout à Paris, la moitié, à peu près des logements, sont occupés par des personnes seules. Alors il faut faire attention, c'est aussi parce qu'on fait des études plus longtemps. Moi, je dis souvent, on devient adulte vers 26/27 ans, on commence à être stable en couple, et le premier bébé arrive vers 30, 31 ans. C'est un peu ça le modèle. Ça veut dire qu'en gros, de 18 à 26 ans, on a des vies très déconstruites.

Et on se marie plus tard aussi aujourd'hui, puisque c'est 37 ans pour une femme, 40 pour les hommes quasiment ? 

Mais tout à fait. Ce qui correspond aussi souvent à l'âge du deuxième enfant. On a des vies discontinues, dans la vie privée, dans les convictions, dans les modes de vie, et au fond, dans la vie privée aussi, on a des vies de jeunes, où on a beaucoup d'aventures, souvent, pas tous, mais quand même beaucoup. Après, on a une vie "premier bébé", qui se développe vers 26, 27 ans. 29 ans, c'est le premier CDI massif, donc le premier bébé, il arrive deux ans après.

On achète une maison en général à 32 ans, pour continuer dans l'échelle de la caricature. Et puis vers 37, 40 ans, ceux qui sont restés en couple vont peut-être se marier et faire le deuxième enfant. Mais après, ce n'est pas tout le monde. D'abord, il y a 30% des jeunes filles qui disent qu'elles ne veulent plus faire d'enfant, 37% des jeunes filles diplômées, à cause de la crise climatique. Elles se disent, mais dans quel monde je vais mettre mon bébé ?

Ça, c'est un enjeu majeur parce qu'on peut toujours discuter des retraites. Mais si on ne fait pas de bébés, il n'y a pas de cotisations et dans le contexte actuel, il faut mettre tout ça sur la table.