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"On a vacciné 3 milliards de personnes, c'est quand même un très bel échantillon, mais c'est vrai qu'on n'a pas d'effet dans la durée"

Comment convaincre les quelque 5 millions de Français non vaccinés de passer le pas et de se faire vacciner ? C'est la question de société du jour avec le décryptage du sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
8 janvier 2022. Manifestation anti-pass sanitaire et anti-vaccin à Lyon. (JOEL PHILIPPON / LE PROGRES / MAXPPP)

À écouter le président de la République, Emmanuel Macron, qui dit avoir envie "d'emmerder" les non-vaccinés, on croit comprendre que pour lui, le temps de la pédagogie est terminée. Qu'il est convaincu, finalement, qu'au bout d'un peu plus d'un an de vaccination, les Français rétifs ne changeront plus d'avis.

franceinfo : Jean Viard, les Français qui ne veulent pas se faire vacciner, ne changeront plus d'avis, selon vous ? 

Jean Viard : Mais ce n'est pas homogène les non-vaccinés. Sur les 5 millions, il y a des isolés, des gens très pauvres, des gens qui ne sont pas au courant de ce qui se passe. Je ne sais pas combien, mais par exemple, je crois qu'il y a 600 000 de plus 80 ans, on peut penser qu'il y en a beaucoup qui sortent jamais de chez eux. Ils ne voient personne, ils se disent pourquoi je me ferais vacciner, je ne sors pas de chez moi.

Il y a toute une culture, je dirais néo baba, c'est-à-dire géographiquement là où on est venu après 68. Donc il y a une tradition du refus de la médecine avec les médecines douces. Donc là, on a un rapport à la santé, au corps, on se soigne avec des plantes, etc.

Il y a tout un mouvement néo religieux, en gros c'est de dire : je décide quand je meurs, et on voit bien comment le mariage pour tous ou d'autres mouvements assez radicaux, là ont une pensée anti-vaccin. Donc, il y a tout ça. Et il y a évidemment une pointe chez les militants Front national et une pointe chez les LFI d'antimacroniens qui veulent pas parce que c'est le vaccin de Macron. Et moi, dans mon équipe j'ai une salariée qui me dit : moi j'attends le vaccin français...

Il y a ceux aussi qui ont peur aussi du vaccin, des technologies nouvelles, de l'ARN messager, qui disent qu'on manque de recul ? On entend souvent ça aussi ?

Oui, bien sûr, et là, on n'a pas un recul dans la durée, on a un phénomène en masse, on a vacciné 3 milliards de personnes, c'est quand même un très bel échantillon. Mais c'est vrai qu'on n'a pas d'effet dans la durée, même si on se tue à expliquer que l'intérêt de l'ARN messager, c'est qu'au bout de 2 jours, il a disparu. Moi je ne vais pas jouer au médecin, mais je crois qu'il y a toutes ces populations et au fond, quel est l'objectif du gouvernement, c'est d'essayer de les traiter différemment les unes des autres. On jugera à la fin : si l'intervention brutale du président fait qu'il y a un million de vaccinés de plus. Il a eu raison, sinon il a eu tort. Moi, j'aurais tendance à dire comme ça. 

C'est au moins autant, sinon plus, le projet de pass vaccinal que les mots du président, on imagine, qui entraîne ces primo-vaccinations puisque, vous l'avez dit hier, il sera bien compliqué de vivre normalement sans vaccin désormais.

Jean Viard, le président de la République, a dit tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas. C'est ce qu'ont martelé plusieurs membres du gouvernement pour défendre Emmanuel Macron face à la polémique qu'il a suscitée. Est-ce que c'est juste, d'après vous ou alors, ça reste très hypothétique ? 

C'est quoi appartenir à une cité, c'est quoi partager des valeurs ? C'est quoi si vous voulez être solidaires les uns des autres, c'est quoi protéger le faible qui rate une marche ? C'est quoi sauver la personne qui tombe à l'eau ? C'est quand même toute une question essentielle : c'est quoi qu'on a en commun dans une communauté, et au fond, est-ce que la citoyenneté, c'est-à-dire l'appartenance à la cité; normalement, il y a dans la cité des valeurs communes, et puis, derrière les remparts, il y a les barbares, si je peux schématiser. Quand les barbares entrent dans la cité, comment on gère la question ? 

Là, vous parlez d'une autre formule d'Emmanuel Macron qu'un irresponsable n'est plus citoyen et responsable. Il désigne les non-vaccinés. Et il y a peut être un paradoxe là. C'est que l'on entend les oppositions dire revoilà la déchéance de nationalité, la déchéance de citoyenneté. Mais pour un choix qui reste permis par la loi française, on a le droit, c'est complètement légal de ne pas se faire vacciner. On n'est pas obligé, on ne déroge à aucune règle. Est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe là quand même ? 

Quand François Hollande avait proposé la déchéance de nationalité après les attentats, 86% des Français étaient d'accord avec lui dans l'opinion publique. L'idée, au fond, que ceux qui se retournent contre la communauté peuvent éventuellement en être exclus s'ils ont une alternative. 

Mais là, on parle de français qui ne trahissent aucune règle et qui respectent toutes les lois, ce qui n'était pas le cas sur les débats de déchéance de nationalité. On parlait notamment des terroristes. Là, ça n'a absolument aucun rapport. Donc, on peut dire qu'il y a un décalage entre des mots très forts, une forme de menace en quelque sorte de citoyens de seconde zone, alors qu'ils respectent les lois de la République ?

Moi, je ne suis pas là pour juger. J'essaye d'analyser les fonctionnements et je pense que l'idée, c'est d'essayer de secouer le cocotier dans tous les sens. Et chaque fois, qu'on le secoue dans un sens, on espère récupérer quelques centaines de milliers de vaccinés. C'est un peu ça le jeu. Chaque fois, on peut faire des grands scandales, etc. comme toujours, ça se jauge à la fin, en fonction du résultat qu'on va avoir. Et c'est très difficile parce qu'aujourd'hui, il y a plein de gens qui sont dans le croire et sur cette question on devrait être dans le savoir.

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