"On est face à une grande crise des nations, elles sont en pleine incertitude et du coup, elles se cherchent un adversaire", Jean Viard
On regarde aujourd'hui du côté de Calais en France, qui après la Biélorussie, et ce qu'on a appelé la "crise migratoire" à la frontière avec la Pologne, concentre l'attention des pays européens, quatre jours après la mort d'une trentaine de migrants qui tentaient de gagner les côtés britanniques par la Manche.
Après la Biélorussie ces dernières semaines, Calais, dans le nord de la France, concentre l'attention des pays européens pour les questions migratoires, puisque quatre jours après la mort d'une trentaine d'exilés qui tentaient de rejoindre l'Angleterre par la Manche, la France organise ce dimanche 28 novembre, à Calais, une réunion avec les ministres belge, allemand et néerlandais en charge des questions migratoires. Sont aussi présents des représentants de la Commission européenne. Le sociologue Jean Viard nous aide à décrypter ces questions.
franceinfo : Jean Viard, est-ce que l'Europe peut réussir à contenir, à s'accorder aussi et à répartir ces flux migratoires ?
Jean Viard : Mais le problème, c'est qu'on est face à une grande crise des nations en réalité, c'est-à-dire que ces nations ont été construites par les guerres précédentes, par des affrontements de classe, etc. et elles sont en pleine incertitude et du coup, elles se cherchent un adversaire.
Disons les choses simplement : il y a 200 millions d'êtres humains sur cette planète, sur 8 milliards, qui ne vivent pas dans leur pays d'origine. En gros, ça fait 3% de la population mondiale, et l'essentiel des gens quittent leur pays pour les pays d'à côté. Donc, le mouvement du Sud vers le Nord, c'est à peu près 1% de l'humanité. Donc, il n'y a pas une foule énorme mais il faut redonner les chiffres.
Et puis, en même temps, tout le monde voit l'angoisse : elle est réelle, la peur. Alors c'est face à ça qu'on est, parce que même en Biélorussie, ce qui a été fait, qui est ignoble pour faire de la politique – les utiliser comme armes de combat – c'était 5, 6, 7 000 personnes. Excusez-moi, on les diffuse sans même les voir dans une Union européenne où on est 450 millions. Donc on voit bien que ce qui est en jeu, c'est effectivement nos systèmes d'appartenance.
Moi, je crois qu'il faut dire une chose très simple : on n'a pas construit un discours postcolonial sur les liens entre les anciennes colonies et les anciennes métropoles. Pourquoi est-ce que les gens veulent aller en Angleterre ? C'est parce qu'ils sont anglophones, parce qu'ils viennent souvent de pays qui ont été des colonies britanniques.
Quand les gens viennent en France, la plupart du temps, c'est parce qu'ils parlent français, qu'ils ont été élevés dans la culture française. Les valeurs, plus ou moins d'une partie de nos valeurs, en tout cas. Le problème, c'est qu'on dirait que le jour de la fin de la colonie, on a construit des murs. La réponse est non. Payons notre dette de colonisateur en ayant un rapport accueillant à la jeunesse des anciennes colonies. On pourrait dire les choses comme ça, pour déplacer le débat.
Alors, face à ces questions migratoires, à ces tensions migratoires, l'Union européenne se montre assez unie. On l'a vu face à la Biélorussie, et on le voit maintenant face à la Grande-Bretagne, avec ces ministres réunis aujourd'hui. Et pendant ce temps-là, le torchon brûle entre la France en particulier, et le Royaume-Uni.
Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a écrit une lettre ouverte cette semaine, à Emmanuel Macron, et ce dernier lui a répondu assez sèchement : ce n'est pas comme ça qu'on communique entre chefs d'État, lui a-t-il dit, pour résumer. Et puis surtout, il rejette dans le fond, les propositions britanniques, notamment que la France reprenne tous les migrants arrivés clandestinement en Grande-Bretagne ; il y a ce bras de fer entre la France et la Grande-Bretagne ?
Oui, mais ça, c'est clair. D'une part, je pense que ce bras de fer, il a repris la place qu'il avait avant que la Grande-Bretagne ne rentre dans l'Union européenne, c'est un jeu rituel entre ces deux pays. Mais ce n'est pas qu'un jeu puisqu'il y a eu 27 morts et en fait, il y en a beaucoup d'autres, y compris ceux qu'on ne voit pas. Et c'est à rapprocher évidemment de la question des pêcheurs. Donc, la question de la mer qui nous sépare ou qui nous rassemble – ça dépend des périodes – est complètement au coeur du monde de demain.
Il y a donc cette crise migratoire. Vous avez évoqué aussi la crise des licences de pêche entre la France et le Royaume-Uni, et cela fait dire au porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, toutes ces crispations, qu'il y en a marre pour lui des doubles discours et de l'externalisation permanente des problèmes des Britanniques vers l'Union européenne, alors qu'ils ont fait le choix du Brexit.
Ça vous l'avez souligné, est-ce que, d'après vous, il y a un lien très clair, très net ? La Grande-Bretagne n'est plus dans l'Union européenne, donc les crispations sont beaucoup plus présentes, beaucoup plus fortes ?
Oui, ça me semble assez évident. Et puis Boris Johnson a été élu sur le Brexit, mais au fond, personne en Angleterre ne savait exactement ce que ça allait donner. C'est toujours la question de définir un ennemi de l'extérieur, pour créer un commun. D'ailleurs, les tabloïds anglais vont pas se gêner pour effectivement taper sur les Français à bras raccourcis. Et nous, on le fait un peu aussi.
C'est-à-dire au fond, nous sommes, nous les Français, contre les Anglais et les Britanniques, parce qu'en plus, il y a des conflits entre eux, comme vous le savez, puisque l'Ecosse, en particulier, envisage de quitter la Grande-Bretagne. Ils cherchent à se rassembler et malheureusement, avoir un ennemi, ça rassemble facilement. L'Histoire nous l'a bien montré.
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