"On n'a pas assez de crèches, et le rôle de l'état c'est de les contrôler, qu’elles soient privées ou publiques" estime Jean Viard

Après les scandales dans certains Ehpad, des crèches sont à présent dans la tourmente. L'occasion d'évoquer la prise en charge des plus fragiles. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Des crèches privées qui manquent de personnel, de nourriture, de la maltraitance sur les enfants... La nouvelle enquête de Victor Castanet, "Les Ogres" fait la une. (Illustration) (DUSAN STANKOVIC / E+ / GETTY IMAGES)

Cette semaine, le nouveau livre enquête de Victor Castanet, Les Ogres, fait la une. Après avoir dénoncé les mauvais traitements dans certains Ephad, il s'attaque cette fois aux crèches privées : manque de personnel, de nourriture, maltraitance sur les enfants. Le portrait est loin d'être reluisant.

franceinfo : Qu'est-ce qui s'est passé pour que nous n'arrivions plus à protéger les plus fragiles, les aînés comme les enfants ?

Jean Viard : Ne faisons pas comme si on parlait de toutes les crèches. De même que tous les Ephad ne relèvent pas des problèmes qu'a eu un certain groupe dont le nom a d'ailleurs changé. Il y avait 4 millions de personnes de plus de 80 ans, le public cible, il n'y en a que 700.000 en Ephad, et là on parle de 450.000 enfants qui sont dans des structures privées, publiques ou associatives, sur 2 millions, soit un enfant à peu près sur quatre.

Donc ça signifie que l'essentiel de la garde des enfants et des personnes âgées, ce sont les familles. Bien souvent, c'est une charge des femmes, avec tout ce que ça entraîne comme contraintes d'emploi du temps, etc. Après, ce que démontre ce livre, c'est que, que ce soit privé ou public, au fond, c'est la même question, on a besoin de contrôle, et pour qu'on ait confiance, il faut qu'on ait confiance dans le contrôle. Parce qu'effectivement, quand on confie un enfant ou une vieille personne, on est peu coupable d'une certaine façon, et surtout on a envie d'une confiance absolue. Donc, à mon avis, le rôle de l'Etat, c'est de garantir la confiance et elles doivent être contrôlées, qu'elles soient privées ou publiques.

Ce qui est surtout montré du doigt, c'est la gestion du secteur privé. Est-ce que ça veut dire pour autant qu'il faut tout jeter ?

Mais non, chacun son idéologie. Moi je pense que le rôle de l'Etat, c'est d'abord de contrôler. Je peux comprendre qu'il y ait des gens qui préfèrent les structures publiques. Il y a 40 ans, j'ai participé à la création d'une crèche associative parce qu'à une époque, il fallait les créer soi-même, après, cette crèche a été municipalisée, il y en a d'autres qui sont privatisées.

Le gros problème, c'est qu'on n'a pas assez de crèches parce que quand un enfant sur quatre est gardé, ça veut dire que beaucoup de gens arrêtent de travailler, ou les mamans ne travaillent pas, et ne peuvent pas travailler. Le vrai problème, il est là. On crée aussi beaucoup de crèches dans les entreprises. Mais ce qui est clair d'abord, c'est qu'il en manque, et ensuite qu'elles manquent de contrôle.

Et tout ça est entre les mains des politiques, les améliorations, on les connaît, de meilleurs salaires, plus de contrôles, une réévaluation des aides publiques aussi ?

Oui, mais il n'y a pas que des questions d'argent. Les gens qui font ça, pour beaucoup, c'est par passion, par amour des enfants. Il y a eu tout un débat parce que maintenant on accepte un certain nombre de salariés dans les crèches, qui n'ont pas les diplômes. Moi, ça ne me choque pas. Qu'il y ait des gens diplômés qui encadrent, c'est la moindre des choses. Mais il y a aussi une culture du diplôme en France sur lequel il faut mettre un peu de souplesse. Mais après évidemment, c'est un peu des questions d'argent. Alors attention, parce que les crèches privées sont payées essentiellement par les familles.

Est-ce que la situation qu'on connaît en France est spécifique justement à notre pays, ou est-ce que nos voisins européens s'occupent mieux de leurs aînés, de leurs enfants ?

Non, ce n’est pas qu'ils s'en occupent mieux... Prenez la question de l'Allemagne. Historiquement, une maman qui travaillait était un peu rejetée parce qu'on considérait que le rôle d'une mère, c'était de s'occuper de ses enfants. Et si elle travaillait, on considérait qu'elle abandonnait un peu ses enfants, ça, c'est l'histoire ancienne. Mais dans des pays comme l'Allemagne, c'est encore extrêmement présent.

Et donc, en Allemagne, il y a beaucoup de femmes qui ne travaillent pas quand elles ont des enfants, non seulement parce qu'il n'y a pas de crèches, mais aussi parce que l'image de la mère qui dépose son enfant le matin, qui le reprend le soir, et qui va travailler, est une image encore très négative. La chance de la France, c'est qu'on est arrivé en gros, à ce qu'une maman ait le droit de travailler, et c'est tout à fait légitime qu'elle dépose son enfant le matin, ou que le papa le dépose le matin, etc. Et c'est là où la France est plutôt en avance sur pas mal de pays. J'ai pris l'exemple de l'Allemagne parce qu'elle est juste à côté de nous.

Je crois que la France à ce niveau-là n'est pas en retard d'un point de vue culturel, on est plutôt en avance, d'un point de vue des équipements, on ne l'est pas, et en particulier dans les grands quartiers populaires. C'est là où il y a essentiellement des femmes seules, avec des enfants, qui ne travaillent pas, notamment parce qu'il n'y a pas de crèches, souvent dans les grands quartiers les plus défavorisés de notre territoire.

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