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Question de société. Jean Viard : "Le grand enjeu de la culture, c'est effectivement d'ouvrir les jeunes en dehors du monde dans lequel ils vivent"

"Questions de société" avec le sociologue Jean Viard est aujourd'hui consacrée au Pass culture, que le président Macron a dévoilé cette semaine. 300 euros sans conditions de ressources pour tous les jeunes de 18 ans, à dépenser "en livres, films, musique, spectacles, expositions, et concerts".

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Paris, le 19 mai 2021. La réouverture des lieux de culture. (Illustration) (DELPHINE LEFEBVRE / HANS LUCAS / AFP)

Alors que notre pays se déconfine, le gouvernement veut encourager les jeunes à s'aérer le corps et l'esprit. Il y a un Pass culture, 300 euros sans conditions de ressources, à dépenser pour des billets de cinéma, de concerts, de théâtres, de musées, etc. Et puis, il y a ce passeport, une aide de 50 euros pour les familles aux revenus modestes, pour inscrire des enfants en club, deux pass dévoilés par Emmanuel Macron cette semaine.

franceinfo : Des initiatives bienvenues à vos yeux, Jean Viard, vous qui rappelez régulièrement le sort de la jeunesse dans cette crise ?

Jean Viard : Oui, bien sûr, c'est la semaine de la réouverture, donc le président en profite pour faire une annonce à la jeunesse qui a beaucoup morflé pendant la période. Tout ça, c'est tout à fait logique. Je vous donnerais une phrase de Michel Le Bris dont c'est l'ouverture du festival de Saint-Malo aujourd'hui qui disait : "Les écrivains permettent de voir le monde qui vient". On pourrait ajouter : et les autres mondes. Le grand enjeu de la culture, c'est effectivement d'ouvrir les jeunes en dehors du monde dans lequel ils vivent.

Là, il y a deux mesures. Celle sur le sport est vraiment intéressante, parce que le sport est très présent à l'école. Et souvent, d'ailleurs, c'étaient les profs de sport avant qui animaient les clubs, il y avait ce lien. Et le sport, ce n'est pas seulement le corps, c'est aussi le collectif et c'est la maîtrise de l'énergie, le contrôle de la force. Et puis, c'est l'apprentissage des règles. Le football, par exemple, est un sport très populaire dans les quartiers et chez les jeunes. C'est un sport où il y a des règles très précises. Donc, au fond l'apprentissage à l'égard de la loi, il commence en tapant dans un ballon. Et donc, il y a toutes ces fonctions-là qui sont très importantes.

Après la culture, évidemment, l'enjeu est très différent. Contrairement à ce qu'on croit en fait, en fait les jeunes sont les premiers pratiquants culturels, et dans tous les groupes sociaux, notamment entre 18 et 30 ans. Donc, on a toujours tendance à dire les jeunes, ils sont numériques, etc. Oui, ils sont numériques, mais ils sont massivement amateurs, ce qui n'est pas exactement la culture, j'allais dire publique, qui finance plutôt les théâtres, les opéras et les cinémas, c'est-à-dire, au fond, ce qui n'est pas amateur. Or, plus de 90% des jeunes ont des pratiques amateurs de musique. Et là, pendant la pandémie, la vente de guitares a augmenté de 20%.

C'est important de dire ça. Par exemple, il y a 88% des jeunes qui lisent, 83% qui vont au cinéma, on a une jeunesse qui, effectivement, a des pratiques culturelles, très importantes, mais soit d'accès à la culture du patrimoine, soit de rencontres de la création, et la création, c'est important parce que ça leur montre que leur vie n'est pas forcément la reproduction de la vie qu'ils ont autour d'eux, qu'ils peuvent la changer, qu'ils peuvent changer de chemin.

Et après, ce qui est vrai, c'est qu'il y a des gros écarts sociaux et il y a des gros écarts territoriaux pour lesquels pour l'instant, on n'a trouvé pas de réponse. Il y a à peu près, 50% des jeunes qui disent qu'ils sont limités par l'argent, 25% qui disent qu'ils sont limités par la distance. C'est pour ça que moi, j'aurais beaucoup aimé le pass culture et le trajet pour aller faire les choses, parce qu'évidemment, un jeune à la campagne, s'il prend son bus pour aller à la ville, ça lui coûte de l'argent.

Et puis, il y a 15 ou 25% des jeunes qui sont dans des milieux isolés, disons des phénomènes sociaux très caractéristiques. Au fond, de l'argent, de la distance et certains quartiers fermés. Les réponses ne sont pas les mêmes. Les quartiers fermés, il faut accompagner les jeunes, il faut les amener au musée. Il faut les mettre devant un tableau. Des fois, vous savez l'éblouissement d'un ado devant une œuvre, on se demande pourquoi c'est ça qui d'un coup fait tilt. C'est ce tilt qu'il faut chercher pour cela. Et puis évidemment, le pass, ça permet que ceux qui ont un problème d'argent pour y aller, ils peuvent y aller plus souvent et plus facilement.

Le passeport va aider les jeunes de familles modestes et les clubs sportifs aussi. Des associations frappées très durement par la crise. C'est un maillon important du lien social ?

Des associations frappées par la crise et puis par la faiblesse des politiques, ce qu'on appelle les quartiers depuis longtemps. Donc, c'est vraiment une question à la fois de développement des jeunes, mais c'est aussi une question de construction du lien social dans certains territoires. Et là, je pense qu'on l'a profondément sous-estimée. Il y a une chose qui m'a frappé, quand on a assassiné George Floyd aux États-Unis, la décision qui a été prise, c'est de diminuer les crédits de la police pour augmenter les crédits des éducateurs, du sport, etc. Je ne dis pas qu'il faut diminuer les crédits de la police en France, parce qu'ils sont un peu pauvres, mais comprenons bien que cette construction du lien est évidemment un enjeu.

Et le sport est au cœur, et notamment pour les garçons qui sont effectivement souvent au cœur de la violence, même s'il faut aussi s'interroger beaucoup sur l'égalité pour les jeunes filles. Quand on pense, même dans les cours de récré des écoles, on dit toujours que les garçons occupent l'espace en jouant au foot, et les filles sont mises autour, donc y a un énorme enjeu d'égalité entre les filles et les garçons qu'il ne faut pas sous-estimer. 

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