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Question de société. "On est dans une course poursuite entre le virus et le vaccin. L'école pour les enfants, c'est leur deuxième maison" : Jean Viard, sociologue

Fermer les écoles ? Ne pas les fermer ? Dans le "JDD" de ce dimanche, Emmanuel Macron ne varie pas dans sa position. Pour lui, c'est le dernier des recours. Et le sociologue Jean Viard nous rappelle que l'école, c'est un lieu de sociabilité essentiel pour les enfants, qui sont terriblement angoissés par cette pandémie. 

Article rédigé par franceinfo, Augustin Arrivé
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Faut-il fermer ou pas les écoles ? Les enfants ont beaucoup souffert de la fermeture des écoles lors du premier confinement. (Illustration) (FATCAMERA / E+ / GETTY IMAGES)

Question de société sur franceinfo comme chaque dimanche avec le sociologue Jean Viard, pour décrypter l'actualité, notamment celle de la pandémie qui sévit depuis plus d'un an sur toute la planète.

Alors qu'Emmanuel Macron, dans le Journal du dimanche, affirme un peu mystérieusement que rien n'est décidé sur les évolutions des restrictions contre le Covid-19, quelque chose est notable, et revient de plus en plus souvent : la question de la fermeture des écoles. Le président de la République, pour l'instant, s'y refuse. Il y voit le dernier des derniers recours, face au virus.

franceinfo : Qu'est ce que ça dit de l'importance des écoles ? Qu'est ce que ça implique, de les fermer ? 

Moi, je ne veux pas me mêler de ce débat politique. C'est des arbitrages qui se discutent ou pas, mais je trouve qu'en ce moment, il y a beaucoup de spécialistes sur un sujet aussi difficile. Ça m'intrigue un peu. Ce qui est clair, c'est que l'école en France, on lui a donné une mission extrêmement centrale. Il faut bien reconnaître que le ministre des questions nationales depuis qu'il est là, que ça soit le dédoublement des classes de cours préparatoire dans les quartiers difficiles, que ça soit la transformation du bac, il a décidé de remettre l'école comme cœur du lien social. Je crois que ça, c'est une politique constante depuis trois ans. On apprécie ou pas, on est d'accord ou pas. C'est un axe central.

La deuxième chose, c'est qu'on a bien vu pendant le premier confinement que pour les familles, avoir des enfants longtemps à la maison, c'est extrêmement difficile. Donc, y compris ça, c'est un élément. Et puis surtout pour les enfants, l'école, c'est clairement leur deuxième maison. On a vu leur souffrance quand l'école était fermée, et je crois que c'est un lieu de sociabilité essentiel. Et donc, on ne peut pas dans cette période où ils sont extrêmement angoissés (ils entendent tous les jours parler des morts, ils en connaissent éventuellement autour d'eux, etc.) l'angoisse des enfants est terrible. C'est un des éléments du dossier.

Et puis il a, bien sûr, le principe d'égalité qui est quand même, il ne faut pas l'oublier, qu'il y a des familles qui aident très bien leurs enfants quand ils ne vont pas à l'école, et d'autres qui ne les aident pas, ne peuvent pas, qui n'ont pas le temps, qui ne savent pas, qui ne parlent pas français à la maison, etc. Donc, il y a un principe d'inégalité qui va toucher toute une génération. Ce n'est pas à court terme, c'est à très long terme. Il y a tous ces éléments sur la table. Après, bien sûr, la France en fait un marqueur politique, en tenant compte du fait que la France, Jules Ferry, c'était très républicain comme position l'école, comme coeur du lien social. Rappelez-vous les politiques des écoles dans les villages au XIXe etc. Donc, il y a une vraie réflexion, j'allais dire, sur l'identité collective et le rapport à l'école. Donc ça, c'est aussi un élément.

Et puis, je voudrais dire que le nombre de cas dans les écoles est faible, alors ça ne veut pas dire qu'il est inexistant. Mais je crois qu'il y a 1 300 enseignants qui ont été malades ou qui sont malades actuellement. Ils n'ont pas forcément attrapé le virus à l'école, ils sont presque 1, 2 million d'enseignants donc, 1 300 malades, excusez moi pour 1, 2 million enseignants, il faut avoir les chiffres aussi dans la tête. Je pense qu'il faut comparer aux caissières. Il faut comparer aux livreurs, aux chauffeurs routiers. Donc, c'est pour ça que la question est extrêmement difficile. Mais il est clair il me semble, que l'école est un lieu symbolique de l'unité et de l'égalité. Je crois que c'est pour ça qu'on la met dans cette position.

Alors peu de malades en valeur absolue pour autant. vendredi 26 mars, le ministre de l'Education nationale a décidé d'une nouvelle mesure, d'une nouvelle restriction avec la fermeture automatique d'une classe dès qu'il y a un élève malade. Ça peut aller très vite. Ça peut augmenter considérablement le nombre de retours à la maison, notamment dans les régions les plus touchées. L'Ile de France, les Hauts de France, même la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Mais symboliquement, on ne dit pas : on ferme les écoles. 

Oui, mais on n'en est pas là parce qu'il y avait 1 599 classes fermées la semaine dernière pour 528 400 dans tout le pays. Il faut voir les chiffres. Alors bien sûr, ça va augmenter. Et en plus, le variant anglais est beaucoup plus contaminant. Il est clair que les mesures à prendre doivent augmenter puisqu'il semble, d'après les études, que les enfants ne sont pas tellement malades, mais qu'ils transmettent pas mal, notamment les collégiens, etc. Donc, il y a tout ça.

Et puis, il y a une angoisse légitime des enseignants qui est respectable. C'est comme toujours dans un sujet compliqué, c'est un arbitrage entre différentes tendances, mais c'est pour ça que je donne les chiffres du nombre de classes fermées, etc. Si on ferme 528 400 classes, ça, c'est évidemment un phénomène social absolument considérable. Est-ce qu'on peut encore gagner du temps ? On est dans une course avec le vaccin. Est-ce qu'on va avoir les deux ? Je n'en sais strictement rien. Il est clair que c'est une course poursuite entre le virus et le vaccin et aussi l'équilibre des familles, l'équilibre des enfants et les traumatismes qui vont rester dans la tête de chacun. Les arbitrages sont naturellement discutables, mais il faut chaque fois redonner les chiffres aux gens. Et puis après, chacun prend sa décision. 

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