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"Restons ouvert à l'idée que la mobilité est quasiment la base de nos cultures et donc, comment on intègre cette mobilité dans un monde bas carbone", estime Jean Viard

Les opposant au projet d'autoroute A69 Toulouse-Castres ont prévu de manifester ce samedi 22 avril dans le Tarn. Une future autoroute qui suscite la colère colère des manifestants écologistes qui dénoncent un projet destructeur. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Vendine (Haute-Garonne, 12 avril 2023. Le chantier de l'A69 entre Toulouse et Castres fait l'objet de nombreuses oppositions. Des militants écologistes bloquent depuis des semaines le début des travaux de déboisement. Un rassemblement d'opposition est prévu  ce 22 avril. Le ministère de l'intérieur craint que ce chantier ne devienne une nouvelle ZAD. (REMY-GABALDA / MAXPPP)

Tout ce week end, une manifestation pour dire non à la construction de l'A69, surtout pour des raisons écologiques – projet prévu entre Toulouse (Haute-Garonne) et Castres (Tarn) nous pose la question de fond du pourquoi d'un tel projet. Le sociologue Jean Viard répond à cette interrogation. 

franceinfo : Pourquoi construire une autoroute aujourd'hui ? C'est notre rapport au temps, à l'espace toujours, qui est en jeu ? 

Jean Viard : Ce dont il est question, c'est de relier un bassin de 100.000 personnes, c'est-à-dire Castres-Mazamet, avec la métropole de Toulouse. Donc c'est ça, l'enjeu principal. C'est pour ça que les élus défendent le projet. Il y avait eu une étude de René Souchon qui était l'ancien président de la région Auvergne, parce que sous son mandat, on lui avait dit : il faut élargir les routes, il faut faire des ronds-points Donc il l'avait fait et à la fin, il a quand même trouvé qu'on avait beaucoup poussé dans ce sens. Et donc, il a fait une analyse dans toute la région Auvergne, au nord de Castres, pour voir ce qui s'était passé en élargissant les routes. Il s'était rendu compte en fait, que les entreprises restaient dans les petites communes, parce que le foncier est moins cher et que la population allait assez fortement habiter dans les petites villes.

Donc, le résultat n'avait pas été économiquement négatif, mais il avait augmenté le trafic parce que le trajet domicile-travail avait explosé. Donc c'est toute la question, c'est-à-dire comment les gens ont envie de vivre, etc. Il y a une autre chose qu'il faut dire, c'est que dans les manifs sur les retraites, ce qu'on a bien vu, c'est que j'appellerais "les villes de peu" et "les français de peu" – je reprends l'expression de l'anthropologue et écrivain Pierre Sansot – c'est-à-dire, ce sont ces territoires un peu loin du TGV et des autoroutes, qui se sentent au fond un peu délaissés par le monde moderne, et le monde moderne est symbolisé par le TGV et par l'autoroute. Il y a un problème économique.

Et après, il y a évidemment le débat dans l'autre sens, des écolos qui défendent des habitants, car évidemment l'autoroute traverse leur territoire et donc abîme ce territoire. Et ce qu'il faut dire aussi, c'est : est-ce qu'on pourrait encore aujourd'hui faire de grands projets ? Moi, j'ai commencé ma vie de chercheur au moment où on a fait le barrage de Sainte-Croix. 10% de l'énergie française, ce sont les barrages. Est-ce qu'on pourrait encore noyer un village au nom de la production non polluante d'énergie ? Donc il y a tout un débat là-dessus. Et en même temps, une société a besoin aussi de faire de grands projets, et on ne sait pas débattre de manière sereine entre toutes ces contradictions. 

Peut-être que dans les années 60-70, 80, il n'y aurait pas eu ces contestations. On a l'impression qu'en effet pour construire une autoroute, tout aurait été permis ou presque ? 

Oui, mais bien entendu, ça a été vrai avec le TGV. Alors le TGV, il y avait eu des contestations à cause du bruit, des problèmes de contestations de voisinage et d'ailleurs, il y avait eu des négociations. Et quand on prend un TGV, on se rend compte qu'on a fait énormément de murs anti-bruit. Donc, il y a eu un résultat. Il y a aussi le problème des TGV de nuit, qui a été limité. Donc, les contestations ne sont pas inutiles. Quand effectivement, ce dont on débat, c'est d'améliorer l'investissement pour la qualité de vie des habitants, les écosystèmes, etc. Mais c'est la question : est-ce qu'on est dans des logiques de refus ou est-ce qu'on est dans des logiques de négociation démocratique ?

Et la création d'un tronçon d'autoroute aujourd'hui pose vraiment plein de questions. Si il y a moins de voitures, par exemple, qu'est-ce que sera l'autoroute du futur ? On imagine qu'il y a plein d'innovations écologiques possibles pour rendre les routes écologiques. Il y a certainement plein de questions qui se posent comme point de départ de la création d'un tronçon d'autoroute aujourd'hui ? 

Oui, il y a même des débats sur des goudrons qui produiraient de l'électricité pour que les voitures se rechargent en passant dessus. Donc il y a des tas d'innovations. Moi, je veux dire simplement une chose : je crois que les hommes sont des êtres mobiles. C'est une espèce de migrant, c'est une espèce de vagabond. Donc, il y aura toujours des mobilités. Et elles se sont développées, et c'est sûr qu'on va plus vite en voiture, à cheval, en TGV, qu'en en train à vapeur, etc. Je crois qu'il faut partir de l'idée qu'il y aura toujours un moment de mobilité. Et la question c'est : comment arriver à des mobilités qui ne soient pas destructrices en termes de carbone ? Je crois qu'être contre la mobilité, ça ne marchera jamais, parce que l'homme est comme ça. C'est une espèce mobile. On a envie d'aller voir la mer, la montagne, l'espace, l'Amérique... Et je trouve que c'est une bonne nouvelle, cette communauté culturelle qu'on fait grâce à la mobilité.

Pour moi, le débat n'est pas la fin des autoroutes ou la fin des voitures. Il est effectivement comment on fait pour que les voitures et les autoroutes aient un impact écologique minimum effectivement, et soient dans l'objectif écologique qu'on s'est fixé. Il me semble qu'il ne faut pas se tromper de combat. C'est un peu comme la ville, la ville ne sera pas que "vélo", même si elle peut être beaucoup "vélo", mais ça dépend pour quelle population etc. Je crois que là-dessus, c'est la même chose : restons ouvert à l'idée que la mobilité est quasiment la base de nos cultures et donc comment on intègre cette mobilité dans un monde bas carbone.

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