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Qui est Vincent Laarman, fondateur de SOS Éducation et roi de la santé naturelle ?

Après avoir lancé des associations utilisant des techniques marketing pour récolter des dons autour de l’éducation et de la justice, Vincent Laarman a créé une société spécialisée dans les conseils de santé "alternatifs". Enquête sur un parcours atypique, et des méthodes qui ne le sont pas moins.

Article rédigé par franceinfo - Benoît Collombat, pour la Cellule investigation de Radio France
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Temps de lecture : 14min
SOS Éducation, Santé nature innovation... Enquête sur la galaxie de Vincent Laarman. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

Vincent Laarman, le fondateur de l’association SOS Éducation (dont la gestion des dons vient d’être épinglée par la Cour des comptes) et de l’Institut pour la justice est aujourd’hui à la tête d’un lucratif business autour de la santé naturelle, qui s’appuie sur une maison d’édition baptisée Santé Nature Innovation.

Pour résumer sa philosophie, "on fait des coups, des actes de piraterie !", dit-il à plusieurs de ses collaborateurs, lors d’un séminaire de formation organisé le 21 juillet 2017. Ce long monologue de près d’une heure et demie, dont la cellule investigation de Radio France a pu consulter l’enregistrement, éclaire sa pensée et ses choix.

"La méthode de Vincent Laarman est simple, résume la journaliste indépendante Clémence de Blasi. Il lance une association sur une cause qui émeut les gens, puis il fait signer des pétitions ouvrant ainsi la porte à d’autres sollicitations sur d’autres causes où l’on est fortement incité à faire des dons."

Trois inspirateurs pour des idées "contrariennes"

Trois personnes ont particulièrement influencé Vincent Laarman. La première est son ancien professeur à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) : Philippe Nemo, qui prône un système scolaire à la carte, indépendamment de l’État. Ce professeur de philosophie a publié en 1991 un ouvrage au titre choc : Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ? (Grasset, 1991). "Ce livre explique que l’objectif pensé, organisé, planifié de l’Éducation nationale depuis le départ est d’essayer de faire en sorte que les enfants soient le plus ignorants possible", soutient Vincent Laarman à plusieurs de ses collaborateurs en juillet 2017.

S’il y a des problèmes de discipline à l’école, si les enfants sont de plus en plus illettrés (…) ce n’est pas parce que l’Éducation nationale marche mal. C’est en fait parce qu’elle marche très bien ! Mieux elle marche plus les enfants deviennent violents et ignorants.

Vincent Laarman

Sur la justice aussi, l’homme a des idées bien arrêtées : "Le système judiciaire français est organisé pour favoriser la délinquance en France", affirme-t-il encore à ses collaborateurs lors de ce séminaire de formation. C’est ce que Vincent Laarman appelle "des idées contrariennes", qui vont à l’encontre du sens commun.

Son deuxième inspirateur est son oncle François (décédé en 2009), créateur de l’association très anti-impôts Contribuables associés et soutien du très libéral think tank IFRAP. François Laarman initie son neveu au concept d’"associations entreprises" organisées en réseaux et aux techniques de marketing direct utilisées par les conservateurs américains dès les années 1960. Son troisième "mentor" est un proche de son oncle : l’américain, Bill Bonner, fondateur de la société Agora Inc., spécialisée dans la publication de lettres financières.

Photo d’un ouvrage de Bill Bonner paru en 2011 dédicacé à Vincent Laarman : "À Vincent. Avec mes meilleurs vœux. Bill". (CELLULE INVESTIGATION / RADIO FRANCE)

"Nous sommes un groupe d’amis, pratiquement une famille, explique Vincent Laarman. Nous avons cette vision (…) qu’il faut faire entendre des voix alternatives qui passent par des canaux alternatifs." Et pour lui, ces "canaux alternatifs" passent forcément par le marché prometteur de la santé naturelle. "J’ai commencé à lire des bouquins sur le sujet, raconte-t-il à ses collaborateurs, des fous furieux, des marginaux, les exclus de l’Ordre des médecins." Une littérature "contrarienne" qui va désormais alimenter son projet.

"Médicament" : un "mot noir"

Nous sommes en 2012. Vincent Laarman crée une maison d’édition : Les nouvelles publications de la santé naturelle, qu’il rebaptise ensuite Santé Nature Innovation (SNI). L’objectif est simple : envoyer de longues lettres par mail écrites de manière très percutante pour convaincre les lecteurs de s’abonner à des publications consacrées au bien-être, ou acheter des programmes et des produits, comme des compléments alimentaires vendus par des structures partenaires de sa société. Le succès est fulgurant. 

Ça s’est passé à la puissance 100 par rapport à ce que j’avais prévu.

Vincent Laarman

En 2013, il décide d’installer sa société en Suisse, où la fiscalité est plus douce. "Je n’avais pas envie de me faire tabasser par l’administration française mais surtout par les syndicats et les délégués du personnel, tous ces espèces de nuisibles", explique-t-il avec ses mots à lui à ses collaborateurs. Dans un premier temps, l’ancien délégué de SOS Éducation conserve un pied en France par le biais de la société Sercogest, chargée d’assurer les relations avec sa clientèle ou celle de sociétés partenaires qui vendent des compléments alimentaires.

À l’été 2015, Sercogest (qui utilise le logiciel de Bill Bonner avec des données stockées aux États-Unis) s’installe à Wasquehal, dans le Nord. L’un des frères de Vincent Laarman, Jan, en devient le directeur général tout (jusqu’à la fin 2016) en étant conseiller municipal de la commune.

"Il y avait des mots noirs qu’il ne fallait pas employer avec les clients comme médicaments ou médication, témoigne un ancien salarié de Sercogest. Il ne fallait pas que quelqu’un puisse nous dire : 'Vous m’avez donné un conseil médical donc je me retourne vers vous parce que ça n’est pas efficace.' En cas de réclamation sur certains produits, on devait répondre : 'Soyez patients, ça ne fait que deux mois que vous le prenez, ce produit ne commence à produire ses effets qu’entre le troisième et le sixième mois.' Il fallait garder les clients le plus longtemps possible pour faire rentrer de l’argent."

Certaines offres laissent perplexes comme ce programme baptisé "Voir sans lunettes naturellement" qui promet une efficacité "en prévention et en guérison".

Extrait du programme "Voir sans lunettes naturellement". (CELLULE INVESTIGATION / RADIO FRANCE)

En octobre 2015 lors d’un séminaire sur l’île espagnole de Majorque, Vincent Laarman explique à son auditoire que "sa culture familiale [l’a] amené à développer une compréhension globale de la médecine" afin de "soulager les souffrances des gens d’une manière merveilleuse". Mais en d’autres occasions, il dit aussi se défier des médicaments. "90-95 % des médicaments sont nuisibles à la santé, lance-t-il ainsi à ses collaborateurs en juillet 2017. Fondamentalement je crois même qu’il n’y a aucun médicament qui est bon pour la santé."

Un "entonnoir" le plus court possible pour faire des ventes

Certaines de ses sociétés ont eu recours à des techniques de vente controversées, par exemple, au one click. L’objectif est de faire en sorte que le client enregistre ses coordonnées bancaires (avec un mandat SEPA). Ce qui permet de valider directement une commande lorsqu’il clique ensuite une seule fois sur un lien qu’on lui envoie.

La pratique du one click est assez douteuse parce que vous n’avez pas de deuxième click qui permet de vérifier la commande et de formaliser le contrat avant de payer.

Gaëtan Dupin, juriste à l’UFC-Que choisir

Or, "certains clients étaient parfois débités pour des programmes très importants, se souvient un ancien salarié de la société Sercogest, chargé du service client de Santé Nature Innovation et de ses partenaires. Plus l’entonnoir est court plus on tombe dans la vente rapidement."

Dans des consignes de Vincent Laarman que nous avons pu consulter en 2018, il est cependant bien demandé à ses salariés ou partenaires de respecter "les bonnes pratiques commerciales" et les "lois".

"Vous êtes dans une jungle où se cachent des serpents venimeux"

Pour inciter ses lecteurs à s’abonner à ses publications, Vincent Laarman (qui utilise régulièrement le pseudonyme "Jean-Marc Dupuis") utilise des techniques venues des Etats-Unis. Parmi elles, le copywriting ("rédaction publicitaire") : on envoie de longues lettres qui permettent d’accrocher l’attention du lecteur en lui laissant régulièrement entendre "qu’on lui cache des choses". C’est notamment le cas dans ce message envoyé le 10 septembre 2017 par Jean-Marc Dupuis alias Vincent Laarman à propos d’un traitement contre le cancer. Il commence par ces lignes :

"Cher lectrice, cher lecteur,

Ce message est clairement le plus dangereux que j’ai jamais écrit. Mon site internet pourrait être fermé. La police pourrait débarquer. Je le sais. Mais c’est si important que je prends ce risque inouï. Personne n’ose en parler ouvertement mais vous avez droit à la vérité sur la chimiothérapie. Vous avez le droit de savoir quand la chimio est bonne et quand elle fait plus de dégâts que de bienfaits. Vous avez le droit de savoir pourquoi beaucoup de médecins refuseraient pour eux-mêmes les traitements qu’ils conseillent aux patients."

Et plus loin : "Vous êtes comme dans une jungle où se cachent des serpents venimeux, des fauves mêmes qui se moquent de votre santé. Vous ne pouvez même pas faire complètement confiance à la cancérologie "officielle" qui, elle aussi, est liée au "business" de l’industrie pharmaceutique !"

Lors de sa discussion avec ses collaborateurs en juillet 2017, Vincent Laarman assume l’utilisation de telles techniques : "À ceux qui me disent : 'C’est n’importe quoi, c’est la théorie du complot, vous exagérez, c’est du populisme.' Je leur réponds : 'Je vous emmerde.' C’est notre manière de fonctionner, je l’assume parfaitement."

Dire aux gens qu’il y a un complot même si c’est pas vraiment un complot, c’est de la forme ! Les gens le savent très bien. C’est comme lorsqu’ils voient dans Voici : 'Claire Chazal : son nouveau compagnon', et qu’ils apprennent en achetant le journal que son compagnon… C’est son nouveau cocker. Ce sont des modes de communication.

Vincent Laarman

à ses collaborateurs en juillet 2017

Ces modes de communication ont tout de même alerté à plusieurs reprises le Conseil national de l’ordre des médecins depuis 2013. Il a été informé de l’existence de publications où il était indiqué :"N’en parlez pas à votre médecin". En juin 2013, le président de la Miviludes, alors chargée de la lutte contre les sectes, avait écrit à l’Ordre des médecins : "Cette organisation et le signataire de la lettre éponyme sont défavorablement connus de la Miviludes. Ce type de discours préconisant une médecine parallèle non éprouvée peut conduire certains patients à interrompre leur traitement ou celui de leur enfant, ce qui entraine une perte de chance juridiquement répréhensible et une rupture par l’adepte de tout lien familial. De ce fait, un risque de dérives sectaires est à craindre." Chaque signalement a été transmis au Centre de lutte contre les criminalités numériques.

Un "trust" et une école privée en Suisse

Vincent Laarman étend désormais son champ d’action bien au-delà de la santé naturelle. Il a établi des partenariats avec de nombreuses entités liées à la finance ou à l’investissement, qu’il appelle "ses affiliés". Un groupe baptisé par Vincent Laarman The Swiss Trust ("le trust suisse"). Les activités de logistique et de marketing digital au service de ces différentes entités sont assurées par la société Publishing Factory installée à Lausanne.

En revanche, la société française Sercogest chargée du service clients a été placée en liquidation judiciaire en 2017 dans des conditions contestées par certains salariés. "On nous a expliqué que nos clients en Suisse n’étaient plus satisfaits de notre prestation, que nous n’étions pas assez qualitatifs et un peu trop chers par rapport au prix du marché, raconte un ancien salarié de Sercogest. Tous nos clients ont d’un coup pris la décision que nous n’étions plus assez bons : ça a précipité la société vers une liquidation judiciaire. En un mois, plus personne n’était là ! Il faut en avaler des boîtes de compléments alimentaires pour avaler un truc pareil…"

Les anciens salariés s’étonnent également de ne jamais avoir vu l’épouse de Vincent Laarman, Marie-Laure Jacquemond Laarman… alors qu’elle était pourtant présidente de Sercogest de 2015 à 2017. Plusieurs frères de Vincent Laarman travaillent avec lui en Suisse. En 2017, son épouse a créé une école privée "d’esprit chrétien et de culture classique" située dans le quartier Mont-Olivet, à Lausanne. Baptisée Institut du Mont-Pèlerin, elle affiche la devise latine : Ad verum et bonum, "Vers le vrai et le bon." Selon nos informations, l’épouse de Vincent Laarman a bénéficié d’une avance de trésorerie de Publishing Factory liée à son mari pour créer cette école.

Il subsiste toujours des passerelles entre SOS Education et Vincent Laarman. Ainsi l’actuel président de SOS Education, Sylvain Marbach, a travaillé à Santé Nature Innovation (de juillet 2014 à juin 2016) et à Publishing Factory (de juillet 2016 à juin 2017). Il est aujourd’hui à la tête d'une association qui dit vouloir protéger les enfants des dangers des écrans.

Contactés, Vincent Laarman et son épouse n’ont pas répondu à notre demande d’interview.

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