En Birmanie, la condamnation d'Aung San Suu Kyi ne va pas arrêter la contestation
Dans ce pays d’Asie du Sud-Est, la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi a été condamnée à quatre ans de prison. Une peine ensuite ramenée à deux ans. Mais pour l’opposition aux militaires, ça ne va pas changer grand-chose.
Aung San Suu Kyi n’est plus qu’un symbole. C’est beaucoup et c’est peu à la fois. Depuis le coup d’Etat militaire de février dernier dans ce pays de 54 millions d’habitants situé au sud de la Chine, la prix Nobel de la paix incarne le passé plus que le présent ou l’avenir de la contestation. C’est parce qu’elle est un symbole, mondialement connue, que le régime s’en prend à elle de façon délibérée, presque kafkaienne. Lundi 6 décembre au matin, sans aucune surprise, Aung San Suu Kyi s’est donc vu condamner deux ans de prison ferme : pour partie pour incitation aux troubles publics, pour partie pour violation des règles sanitaires liées à la pandémie.
Impossible d’en savoir plus, la presse n’est pas autorisée à assister au procès, et les avocats de la défense n’ont pas le droit de s’exprimer. Mais ce n’est qu’un début. La leader de la Ligue nationale pour la démocratie, aujourd’hui âgée de 76 ans, est poursuivie pour 11 autres motifs d’inculpation, qui vont lui valoir 11 autres procès : fraude électorale, corruption et même importation illégale de talkies-walkies. La prochaine audience est prévue le mardi 14 décembre. L’idée du régime est d’empiler les condamnations pour aboutir à une détention à vie. Mais comme le régime sait que le sujet est sensible, Aung San Suu Kyi n’est sans doute pas en prison, elle est plus probablement assignée à résidence.
Une nouvelle génération de trentenaires
Cela dit, ça ne change donc pas grand-chose à la mobilisation des opposants et c’est peut-être là que le régime militaire birman commet une erreur. Bien sûr, la condamnation d’Aung San Suu Kyi fait du bruit, suscite de nombreuses condamnations dans les capitales occidentales. Bien sûr, de nombreux Birmans restent fidèles à celle qu’on a surnommé la "Dame de Rangoon". Dimanche 5 décembre, au moins trois personnes ont été tuées par l’armée lors d’une manifestation qui demandait sa libération. Mais les opposants ont désormais pris acte que la contestation doit se faire sans elle.
Aung San Suu Kyi avait déjà ses détracteurs auparavant, en raison de sa conception autoritaire du pouvoir et de sa réticence à condamner la répression contre la minorité musulmane des Rohingyas. L’opposition est maintenant portée par une nouvelle génération beaucoup plus jeune, incarnée par des trentenaires, comme Thinzar Shunlei Yi, une ancienne journaliste de télévision. Ils se mobilisent via les réseaux sociaux, prônent la désobéissance civile via des actions ponctuelles (par exemple des grèves de médecin, des boycotts de produits fabriqués par les militaires). Et surtout ils regardent la prix Nobel comme une icône du passé.
Le risque d'une guerre civile
Il y a aussi l’essor d’une opposition armée et là aussi ça échappe à Aung San Suu Kyi. On assiste depuis plusieurs semaines à une tentative d’alliance des groupes armés opposés au régime, en particulier les groupes structurés au sein des minorités ethnique, les Karens, les Chans. Difficile là encore d’avoir des informations fiables et recoupées, mais il y a des combats récurrents dans plusieurs régions, y compris au centre du pays, pourtant la terre Bamar, l’ethnie majoritaire. C’est un fait nouveau.
Le risque d’une guerre civile existe avec en face une armée birmane, Tatmadaw, très puissante et organisée. La suite dépendra en bonne partie de l’attitude de Pékin, soutien traditionnel du pouvoir birman.
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