Les Kurdes, victimes collatérales de l'élargissement de l'Otan
L’Otan, lors de son sommet à Madrid qui se poursuit jusqu’à jeudi, a validé les candidatures de la Suède et de la Finlande. La Turquie bloquait le dossier jusqu’à présent, mais a levé son veto. Après des concessions des deux candidats sur la question des Kurdes.
À première vue, l’élargissement désormais possible de l’Otan à la Suède et la Finlande est une bonne nouvelle pour l’Alliance de défense occidentale, face à la menace russe. Mais il y a donc un prix à payer. Et les Kurdes vont sans doute en faire les frais. Pour valider les candidatures suédoise et finlandaise, il fallait l’unanimité au sein des membres de l’Otan. La Turquie, qui est l’un des membres les plus puissants de l’Alliance Atlantique, a donc posé ses conditions. Et obtenu gain de cause sur plusieurs sujets, en particulier sur le soutien apporté à la minorité kurde, par les deux pays nordiques.
Pour Ankara et pour une grande partie de la population turque, le PKK, le principal parti kurde, est une organisation terroriste, impliquée dans de multiples attentats en Turquie. Même chose pour ses filiales dans le Nord de la Syrie voisine, le PYD et l’YPG. Pour lever le blocage turc, la Finlande et la Suède, qui soutiennent de longue date la cause kurde, ont donc accepté de "manger leur chapeau": de fermer les sites kurdes et d’interdire les manifestations kurdes sur leur sol, d’extrader des militants kurdes vers la Turquie, de ne plus apporter aucun soutien au PYD et à l’YPG en Syrie; et de mettre fin à leur embargo sur les livraisons d’armes à la Turquie.
Cent-mille Kurdes réfugiés en Suède
En un sens, les Kurdes paient donc l’addition de l’élargissement de l’Otan. D’ailleurs Ankara n’a pas perdu de temps. La Turquie, dès mercredi 29 juin au matin, a réclamé à la Suède et à la Finlande, l’extradition de 33 personnes, dont 17 militants kurdes (6 en Finlande et 11 en Suède). Autant de personnes qu’elle entend juger pour terrorisme, et dont les noms avaient déjà été transmis aux deux pays nordiques. Pour la Finlande et plus encore la Suède, le sujet est embarrassant. Sur ses 10 millions d’habitants, la Suède compte au moins 100.000 réfugiés kurdes. Et 8 députés du Parlement suédois sont d’origine kurde. L’un de ces députés, ou plutôt l’une puisque c’est une femme, Amineh Kakabaveh, avait même un accord avec la Première ministre social-démocrate Magadalena Andersson : elle a soutenu sa nomination, en échange d’une coopération suédoise renforcée avec le parti kurde en Syrie, PYD. En fait, la pilule est amère pour tout le mouvement kurde, qui s’est un peu chargé du sale boulot à la place des Occidentaux, ces dernières années en Syrie, en combattant le terrorisme du groupe État Islamique. Les Kurdes ont d’ailleurs toujours la charge aujourd’hui de ces camps où sont détenus la plupart des anciens terroristes islamistes, bien que nombre d’entre eux soient des Européens.
Un succès pour le président Erdogan à un an des élections
Pour le président turc en revanche, c’est un succès diplomatique. "Nous avons obtenu ce que nous voulions", déclare la présidence turque. Elle crie victoire. Et c’est vrai, c’est tout bénéfice pour l’actuel président Recep Teyip Erdogan, à moins d’un an des élections générales en Turquie. Confronté à une inflation galopante (plus de 70%) et à une opposition bien décidée à le chasser du pouvoir, Erdogan vient de marquer des points. Il a tenu tête aux Occidentaux, su faire monter les enchères via l’Otan. Et obtenu gain de cause sur le sujet ultrasensible des Kurdes, sujet qui fait globalement consensus dans une Turquie très nationaliste. Erdogan est le vainqueur politique de cette phase d’élargissement de l’Otan.
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