Environnement : "Le co-voiturage doit nous permettre de réduire les émissions de 3 millions de tonnes d'ici 2027" estime François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Illustration covoiturage. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Le transport routier représente le tiers des émissions de gaz à effet de serre. Ce fléau appelle à des solutions parfois aussi simples que le co-voiturage, qui peine pourtant, aujourd'hui encore, à se développer. Un retard significatif qu'il faudra bien rattraper, estime François Gemenne.

Cette solution pourrait avoir l'air évidente, alors que la plupart des voitures sont conçues pour transporter 4 ou 5 passagers. Le problème, c'est que "le taux moyen d’occupation des voitures, en France, est de 1,22 passager. Le matin, en heure de pointe, 86% des conducteurs sont seuls dans leur voiture, selon le dernier baromètre de l’autosolisme publié par Vinci Autoroutes", fustige François Gemenne. 

franceinfo : Le manque de co-voiturage pose un problème aussi pour les embouteillages ?

François Gemenne : Évidemment ! Si on se concentre sur les émissions de gaz à effet de serre : le transport routier, en 2023, représente 120 millions de tonnes de CO2, c’est-à-dire un tiers des émissions nationales de gaz à effet de serre – le premier poste d’émissions. 

Les trois quarts de ces émissions sont produites par le transport des passagers, et donc surtout la voiture individuelle, qui représente 80% des kilomètres parcourus sur les routes françaises.

François Gemenne

Notre objectif, selon la stratégie nationale bas-carbone, c’est de réduire ces émissions d’environ un quart, de 32 millions de tonnes, en 2030, grâce à la voiture électrique, grâce à la sobriété, c'est-à-dire à la réduction du nombre de nos déplacements, grâce aux transports publics, et aussi, grâce au co-voiturage. Cela doit nous permettre de réduire les émissions de 3 millions de tonnes, grâce à 3 millions de trajets quotidiens co-voiturés prévus d’ici 2027. Le problème, aujourd’hui, c’est que nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire : seul un tiers de ces trajets sont aujourd’hui réalisés.

"La route est droite, mais la pente est raide", comme dirait un ancien premier ministre…

Il ne pouvait pas mieux dire. Il va falloir faire décoller le co-voiturage, et en particulier celui du quotidien. Sur les trajets entre 10 et 80 kilomètres, la voiture reste archi-dominante, autour de 85%, avec 50 millions de trajets quotidiens. Il existe toutefois plusieurs opérateurs de co-voiturage, qui développent désormais des lignes de co-voiturage, pour faire de la voiture un nouveau transport collectif. Mais sans action des pouvoirs publics, nous ne parviendrons pas à faire décoller le co-voiturage. Il faut développer un choc d’offres pour contrer l’autosolisme, et c’est l’objet d’une note de l’Alliance pour la décarbonation de la route qui vient d’être publiée.

Qu'y a-t-il dans cette note ?

On y trouve plusieurs propositions très concrètes pour faire décoller le co-voiturage. Notamment la nécessité d’une meilleure communication. Beaucoup de conducteurs ignorent encore largement les possibilités qui existent, notamment les lignes de co-voiturage, qui permettent de co-voiturer de la même manière que vous prenez le bus. Il suffit de vous rendre à un arrêt de co-voiturage, de renseigner votre destination, qui est ensuite communiquée aux autres conducteurs, et dans les minutes qui suivent, une voiture arrive pour vous emmener. C’est primordial, parce que souvent, un frein au co-voiturage, c’est qu’on craint de dépendre des horaires des autres conducteurs, et les lignes de co-voiturage permettent justement de lever ce frein. 

Un vrai travail avec les collectivités doit s’engager pour développer davantage ces lignes.

François Gemenne

Mais il y a aussi une question financière : il faut des incitants financiers clairs pour récompenser les conducteurs, mais aussi pour réduire le coût perçu du trajet pour les passagers.

Pourtant, le co-voiturage permet justement de faire des économies, non ?

Bien entendu ! Les véhicules s’usent moins, et surtout vous partagez les coûts de carburants. Mais cela nécessite tout de même des incitants, parce que lorsque vous conduisez votre voiture, vous ne vous rendez pas compte du coût du trajet, même s’il est plus important. Tandis que quand vous êtes passager, vous allez percevoir le coût du trajet, qui va vous être facturé. Donc, il faut convaincre les conducteurs de devenir passagers, et leur faire comprendre que ça leur coûte moins cher.

Bien sûr, il y a aussi la question des infrastructures…

Il faut en effet avoir des voies réservées sur les grands axes, comme cela existe déjà à certains endroits, et des parcs d’échanges, notamment à proximité des gares, qui permettent de combiner différents moyens de transport.

Le développement du co-voiturage est véritablement essentiel, car il permet non seulement de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de réduire les embouteillages et le coût des trajets. On appelle ça des co-bénéfices : ce sont les bénéfices tangibles et immédiats, pour nous, de la décarbonation.

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