Procès en appel du Mediator : où en sont les différentes indemnisations des victimes ?

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le procès en appel du Mediator à la cour d'appel de Paris, à son ouverture, le 9 janvier 2023. (THOMAS SAMSON / AFP)
La cour d'appel de Paris a rendu sa décision mercredi, six mois après la fin du procès. Le laboratoire Servier, qui a commercialisé pendant plus de trente ans ce médicament antidiabétique, également prescrit comme coupe-faim, a été condamné, notamment pour tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires.

Désormais, Lucile Lefèvre est toujours stressée quand elle prend ses médicaments. "Je me demande ce qui va m'arriver. En plus, ces derniers temps, je suis très essoufflée. Dur, dur...", confie-t-elle à franceinfo. Cette sexagénaire est l'une des victimes du Mediator, qu'elle a pris pendant plusieurs années pour soigner son diabète. Ce médicament, également prescrit comme coupe-faim, a été commercialisé par le laboratoire Servier à partir de 1976 et jusqu'à son retrait de la vente, en 2009. Il a causé de graves lésions cardiovasculaires chez des milliers de patients, en majorité des femmes. Le Mediator est également tenu pour responsable de centaines de décès, voire de milliers, d'après différentes expertises judiciaires.

En première instance, le 29 mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu le laboratoire Servier coupable de tromperie aggravée, ainsi que d'homicides involontaires et de blessures involontaires. Mais il l'a relaxé du délit d'escroquerie. Le parquet de Paris a donc fait appel de cette relaxe partielle et Servier a décidé de contester sa condamnation, ce qui a mené à un nouveau procès. Cette nouvelle audience s'est tenue de janvier à juin. Six mois plus tard, la cour d'appel de Paris a rendu, mercredi 20 décembre dans l'après-midi, une décision déterminante pour certaines procédures d'indemnisation. Elle a reconnu le groupe Servier coupable de tous les délits qui lui étaient reprochés, y compris le délit d'escroquerie. Le laboratoire a immédiatement annoncé se pourvoir en cassation.

Rembourser les sommes perçues, un risque écarté

Lucile Lefèvre, qui s'est constituée partie civile, attendait l'arrêt de la cour d'appel avec appréhension. Car à l'issue du premier procès, Servier a été condamné à payer une amende de 2,7 millions d'euros, assortie de l'exécution provisoire. Le laboratoire a donc dû verser immédiatement la totalité des indemnités aux 7 650 personnes qui se sont constituées parties civiles. La plupart pour "tromperie sur la dangerosité du produit ayant généré un préjudice d'anxiété", c'est-à-dire l'angoisse de voir des maladies liées au Mediator apparaître à l'avenir. C'est le cas de Lucile Lefèvre.

Or, si une relaxe avait été prononcée en appel, les parties civiles auraient pu se trouver dans l'obligation de rembourser ces sommes, qui oscillent entre 10 000 et 60 000 euros par personne dans le volet "tromperie". Elles vont de 180 000 à 1,5 million d'euros pour blessures involontaires et homicides involontaires. "J'ai mis mes clients en garde : 'Attention, placez cet argent sur un compte et n'y touchez pas'", souligne à franceinfo Christophe Donnette, avocat d'une vingtaine de victimes du Mediator dans les Hauts-de-France, dont Lucile Lefèvre. Mais sa cliente n'a pas suivi son conseil. "J'ai dépensé toute la somme pour payer une personne qui m'a aidée au quotidien. D'autant plus que j'ai une petite retraite", témoigne cette femme handicapée, victime de deux accidents de la route. "On ne rendra jamais l'argent ! C'est notre dû", insiste-t-elle.

Cependant, la condamnation de Servier a été confirmée en appel, comme l'avait requis le parquet général. L'amende ne sera pas versée aux victimes, mais à l'Etat français. Le groupe pharmaceutique devra également rembourser plus de 415 millions d'euros aux organismes de sécurité sociale et mutuelles. "C'est une sanction qui envoie un message fort", souligne Jean-Christophe Coubris, qui représente 3 618 parties civiles. L'avocat fait partie de ceux qui avaient demandé, lors du procès en appel, jusqu'à 200 000 euros par victime au titre du préjudice moral lié à la tromperie et jusqu'à 50 000 euros pour le préjudice d'anxiété.

Une autre procédure à l'amiable ouverte

Toutes les victimes du Mediator ne sont cependant pas allées jusqu'au procès. Certaines se sont même engagées à renoncer à une action pénale en échange d'une indemnisation de Servier. Le laboratoire, contacté par franceinfo, renvoie à son décompte en date du 30 novembre : 4 337 patients ont reçu une offre d'indemnisation de la part de Servier, pour un montant total de 258,7 millions d'euros, dont la majeure partie (224,3 millions) a déjà été versée.

Pour y prétendre, les victimes du Mediator doivent remplir un formulaire auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). "Les personnes concernées doivent apporter les éléments médicaux démontrant une incapacité totale ou partielle", souligne l'Oniam sur son site internet. Il s'agit d'une procédure à l'amiable, un dispositif spécifique, avec un fonds public dédié, mis en place par la loi du 29 juillet 2011, " qui peut être préférée à une action en justice aléatoire, plus longue et non gratuite".

L'Oniam précise à franceinfo avoir reçu, au 30 septembre, 10 175 demandes de la part de personnes estimant avoit été victimes du Mediator. Charge ensuite à un collège d'experts de se prononcer sur chaque cas. Cette instance a pour l'heure émis 38% d'avis favorables pour une indemnisation. C'est après cette expertise que le laboratoire Servier propose aux victimes concernées des offres amiables d’indemnisation. Néanmoins, les victimes peuvent aussi demander à l'Oniam de se substituer à Servier si elles estiment que l'offre des laboratoires n'est pas assez élevée. Mais il y a très peu de demandes en ce sens, selon l'office. De son côté, Servier recense 145 offres refusées par des patients.

Un nouveau procès à venir pour d'autres victimes

"Il y a encore un très grand nombre de personnes pas informées sur la procédure, ou qui n'envisagent aucune indemnisation", regrette Jean-Christophe Coubris. L'avocat se félicite d'un arrêt de la Cour de cassation datant du 15 novembre, qui donne plus de temps aux victimes d'un médicament défectueux pour demander l'indemnisation de leur préjudice corporel au civil. "Le délai de prescription de la demande est de dix ans à partir de la consolidation de la victime, c'est-à-dire la stabilité de son état de santé, mais pas sa guérison. C'est propre à chaque patient", développe l'avocat. Cela permet aussi d'éviter d'attendre un procès pénal lointain.

Car l'affaire du Mediator n'a pas fini son long chemin judiciaire. Quelque 5 000 autres dossiers pour homicides ou blessures involontaires sont toujours à l'instruction au parquet de Paris. Il y a six mois, la moitié avait été expertisée dans le cadre de cette gigantesque enquête. Ce qui ouvre la voie à un second procès du Mediator, au pénal, dans les prochaines années. Et, potentiellement, à de nouvelles indemnisations pour les victimes concernées.

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