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Prothèses PIP : "Je n'ai pas de remords et j'ai la conscience tranquille", assure Jean-Claude Mas

Son procès en appel s'est tenu du 16 au 27 novembre à Aix-en-Provence. A cette occasion, francetv info a rencontré Jean-Claude Mas, le sulfureux fondateur de la société de prothèses mammaires PIP. La décision est attendue lundi. 

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le fondateur de l'entreprise Poly Implant Protheses (PIP), Jean-Claude Mas, le 11 novembre 2015 à Six-Fours-les-Plages (Var). (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

"Escroquerie ? Je ne comprends toujours pas au préjudice de qui." Devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), Jean-Claude Mas n'a pas dérogé à sa ligne de défense. L'ancien patron du fabricant de prothèses mammaires PIP a comparu jusqu'au 27 novembre pour escroquerie et tromperie aggravée. Mais s'il reconnaît avoir utilisé son gel "maison" en dehors de tout circuit de contrôle officiel, il nie toujours sa dangerosité. Quelques jours avant le début de son procès, le 16 novembre, il s'est livré à francetv info sans faire mystère de son absence totale de remords. La décision de la justice est attendue lundi  2 mai. 

Jean-Claude Mas n'a "aucune appréhension". Et il le dit avec son franc-parler : "J'en ai rien à foutre. J'ai 76 ans. Ma vie est derrière, elle n'est pas devant." Le fondateur de Poly Implant Prothèse (PIP), société au cœur d'un scandale mondial d'implants mammaires défectueux, a donné rendez-vous dans un bar-restaurant du Brusc, un petit port de plaisance sur la commune de Six-Fours-les-Plages (Var).

La devanture blanche de l'établissement tranche avec un ciel bleu azur exempt de nuage. En ce jour férié, la terrasse est pleine. L'été indien joue les prolongations. Jean-Claude Mas a trouvé une place discrète, sur le côté non bâché pour pouvoir fumer. "Ça ne vous dérange pas mademoiselle, ou madame, la journaliste ?" Il attend à peine la réponse et allume une cigarette. "Personne n'est parfait. Je dis ça pour vous, parce que vous ne fumez pas", enchaîne-t-il avec un sourire narquois.

"Maintenant je suis à 20 euros près"

"Alors vous voulez savoir ce que je deviens ? Une m.... !", s'exclame-t-il. "J'ai une existence très précaire, estime-t-il. Ma voiture, là. C'est une voiture que me prête un ami de mon fils." Jean-Claude Mas désigne une Clio gris foncé, garée de l'autre côté de la route. Elle est cabossée à l'arrière, et à l'avant, la portière gauche n'est pas d'origine. Se balader à son volant est une de ses occupations quotidiennes. "Mais pas trop quand même car il faut mettre de l'essence. Maintenant je suis à 20 euros près."

"Toute ma vie j'ai été habitué à un certain confort, car j'ai toujours gagné ma vie." Aujourd'hui, il reçoit une pension de retraite mensuelle de 1 850 euros. Il habite toujours chez la mère de ses enfants, dans une villa située sur les hauteurs de Six-Fours. "A titre gracieux", dit-il. "Euh, non, je paye 1 000 euros par mois", corrige-t-il. La propriété a été saisie il y a un peu plus d'un an, par un juge d'instruction chargé du volet financier de l'affaire des prothèses PIP.

"A quoi ça sert de se faire du mal ?"

Jean-Claude Mas ne digère pas sa condamnation en première instance à quatre de prison. En 2013, le tribunal correctionnel de Marseille (Bouches-du-Rhône) l'a reconnu coupable d'escroquerie et de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé. Soit une tromperie aggravée. C'est inscrit noir sur blanc dans le jugement : Jean-Claude Mas est "l'initiateur de la fraude", qu'il a "délibérément organisée, tout en étant conscient des risques engendrés", pendant environ dix ans.

Cinq semaines, 300 avocats, 7 000 parties civiles... Ce premier procès de l'affaire, organisé au parc Chanot à Marseille du 17 avril au 17 mai 2013, était hors norme. Pour Jean-Claude Mas, peu importe. "Je n'ai pas de remords et j'ai la conscience tranquille." Pas de remise en question, ni de regrets. "A quoi ça sert de se faire du mal ? Réagir comme ça, c'est peut-être la moins mauvaise des options", rétorque-t-il.

"Le gel PIP, je le considère comme génial et supérieur"

Jean-Claude Mas l'a martelé devant le tribunal correctionnel de Marseille. Il le répète deux ans et demi plus tard : "Le gel PIP, je le considère comme génial et supérieur." Une lueur traverse ses yeux, cachés derrière des verres de lunettes épais. Il y croit dur comme fer. "Les tests réalisés par la communauté scientifique internationale disent qu'il n'y a rien [de dangereux], ça ce sont des preuves", expose-t-il en élevant la voix. Il appuie sur les derniers mots. "Des preuves."

Ces "preuves", ce sont des tests réalisés par le Lemi, un laboratoire de toxicologie et de recherche spécialisé dans l'étude des substances susceptibles d'induire un effet sur la santé. Ils prouveraient l'innocuité du gel PIP, selon les résultats brandis par l'avocat de Jean-Claude Mas le dernier jour du procès à Marseille.

Difficile de savoir si cette étude est fiable. Du côté de l'Agence nationale de santé – aujourd'hui ANSM, ex-Afssaps – un seul test sur quatre considère les implants comme non-irritants. En outre, les études de l'ANSM n'ont pas mis en évidence de lien de cause à effet entre tumeur cancéreuse et prothèses PIP. "Il n'a pas été mis en évidence de risque significatif pour la santé humaine", conclut un rapport de l'ANSM en 2013 (PDF).

Si le septuagénaire au visage rougeaud, dégarni et à la barbe poivre et sel hirsute, se raccroche à ces études, c'est parce qu'il réfute la dangerosité de son gel. Il reconnaît la tromperie, mais pas cette circonstance aggravante, qui double de deux à quatre ans la peine encourue. C'est pour faire passer ce premier message que Jean-Claude Mas a accepté la rencontre.

"Je ne pense qu'à ça, qu'à ces femmes"

Le "Géo Trouvetou" du Var, comme le surnomme son avocat, en a un second : les victimes "n'existaient pas", elles ont été "créées" après la découverte de la fraude. "L'Afssaps a laissé entendre en avril 2010 que le gel était irritant. Les médias ont embrayé, accuse-t-il. Imaginez-vous les patientes qui se disent : 'Putain j'ai des prothèses PIP et dedans c'est du gasoil, c'est toxique, ça peut apporter je ne sais quoi.' Elles développent ce qu'on appelle le syndrome d'anxiété. Voilà pourquoi il y a eu des victimes." Et Jean-Claude Mas d'ajouter, en mimant avec ses mains deux seins sur sa poitrine : "Aujourd'hui, elles continuent à croire que ce sont des bombes."

C'est pourtant balayer d'un revers de la main les inquiétudes d'environ 30 000 Françaises porteuses d'un implant mammaire PIP. Au 31 mars 2015, 18 402 d'entre elles avaient fait retirer leurs prothèses. Une opération chirurgicale lourde, et, pour certaines, après d'autres déboires liés à un cancer du sein. Jean-Claude Mas avait en effet lancé une prothèse asymétrique pour la chirurgie reconstructrice.

Pensent-ils à elles aujourd'hui ? "Je ne pense qu'à ça, qu'à ces femmes", assure-t-il. Va-t-il à nouveau les qualifier de "fragiles", ou leur demander pardon, comme il l'avait fait en première instance ? "Vous verrez. Cette question est malsaine. Primum non nocere. Cela signifie en latin : 'Avant tout, ne pas nuire.' Je veux éviter les polémiques", se borne-t-il à dire, en reposant sa tasse de café vide sur la soucoupe.

"J'aime bien la boutade"

Et puis, Jean-Claude Mas ne l'avoue pas, mais il aime parler de lui, surtout. "Moi je suis très simple", "je suis cartésien", "je suis très actif, je suis très mobile", "je suis partout", glisse-t-il entre deux explications. Il digresse, radote un peu et aligne même quelques phrases de drague lourdingues en début et fin d'entretien. "J'aime bien la boutade", justifie-t-il.

Si à l'issue du procès en appel, la décision ne lui est pas favorable, rira-t-il encore ? "J'espère que cela n'empêchera pas [les magistrats] de dormir. Mais ce n'est pas la peine de leur dire cela, cela va leur faire de la peine", ricane-t-il.

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