Colère des agriculteurs : "La loi qui porte mon nom est trop complexe", admet le député Renaissance Frédéric Descrozaille

Selon le député Renaissance, la loi Egalim 3, qui devait améliorer la rémunération des agriculteurs, "rentre trop dans le détail". Selon lui, les distributeurs ne sont pas suffisamment contrôlés.
Article rédigé par franceinfo
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Frédéric Descrozaille député Renaissance et membre de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, invité de franceinfo, jeudi 25 janvier 2024. (franceinfo)

La dernière loi Egalim 3, entrée en application le 1er avril 2023, régit les relations entre fournisseurs et distributeurs. Invité de franceinfo jeudi 25 janvier, Frédéric Descrozaille député Renaissance et membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, reconnaît que cette loi "qui porte son nom est trop complexe". L'objectif des lois Egalim (1, 2 et 3) est notamment d'améliorer la rémunération des agriculteurs. Mais selon lui, elles "sont inégalement appliquées".

franceinfo : On pensait que la question du revenu des agriculteurs était résolue avec les trois lois qui se sont succédé depuis 2018, ce n'est pas le cas ?

Frédéric Descrozaille : Non, ce n'est pas le cas. D'une part, ces lois sont inégalement appliquées. Il y a un phénomène d'évasion juridique, c'est-à-dire de distributeurs qui déplacent ces négociations hors de nos frontières pour s'affranchir de contraintes légales françaises. La loi qui porte mon nom est trop complexe, en fait, parce qu'elle rentre trop dans le détail. C'est un mal très français.

"La fabrique de la loi est assez malade en France. On produit beaucoup trop de normes."

Frédéric Descrozaille, député Renaissance

à franceinfo

Il mériterait de la simplifier sans en changer ce qu'elle contient, en particulier, la protection du revenu agricole. Ce serait une bonne manière que de rester dans un cadre de principes généraux, de portée générale, de réécrire tout le pouvoir réglementaire. Ce qui étouffe les agriculteurs, c'est dans ce déluge de normes tout un tas de dispositions, de tracasseries administratives.

Comme député, vous faites la loi et vous êtes censé aussi la contrôler ?

Vous pointez quelque chose qui est essentiel. Effectivement, il y a deux missions des parlementaires. Le vote de la loi, le contrôle du gouvernement. Le contrôle de l'action publique est complètement insuffisant et même défaillant. En fait, nous manquons de temps pour ne serait-ce que connaître ce que font les services de l'État dans l'application des lois que nous avons adoptées.

Les 100 contrôleurs annoncés par Bruno Le Maire pour aller voir ce qui se passe dans la grande distribution, c'est suffisant ?

Je ne sais pas si le nombre est suffisant. Ce qui est certain, c'est que depuis que la loi qui porte mon nom est en vigueur, le contrôle par la DGCCRF de ce qui se passe en ce moment dans la négociation à Bruxelles, à Madrid, à Amsterdam, est défaillant. Je démarre une mission avec une collègue de la France insoumise de contrôler d'application de cette loi. On va vérifier auprès des services qu'ils ont faits depuis le mois d'avril pour vérifier l'application de ce que nous avons voté.

À quoi doit s’attendre le consommateur ?

Ce que je peux dire le plus humblement possible, parce que j'ai conscience que c'est un peu inaudible : ça fait des décennies qu'on profite de prix bas, mais ça fait des décennies que tous ces acteurs économiques écrasent les salaires de leurs propres salariés, leurs marges et les prix. C'est ce phénomène depuis la Seconde Guerre mondiale. En fait, on est vraiment au bout.

"L'alimentation que nous voulons, la qualité dans les cantines, les produits locaux, les produits sains, ça ne sera pas avec le même budget qu'avant, c'est certain."

Frédéric Descrozaille, député Renaissance

à franceinfo

Votre loi prévoit par exemple encore plus de protections pour les agriculteurs. Le coût de la matière première agricole, la viande, le lait, ne peut plus faire l'objet de négociations, ni pour les grandes marques ni pour les produits de marques distributeurs. Il faut s’attendre à des hausses ?

Il y aura des hausses et des baisses dans les semaines qui viennent. Au total, il va y avoir une décrue de l'inflation. Mais je ne pense pas qu'on va rentrer sur des chiffres négatifs. Souvent, les relations sont moins tendues, paradoxalement, entre les enseignes et les producteurs parce qu'il y a ce qu'on appelle les contrats tripartites, c'est-à-dire des contrats qui impliquent producteurs, transformateurs et distributeurs. Ce sont des marques en 2022, quand les prix ont beaucoup flambé, qui ont mieux intégré les hausses de prix agricoles que les marques nationales.

Normalement, ces nouvelles conditions de négociation doivent faire les affaires des agriculteurs. Pourquoi ça ne marche pas ?

C'est insuffisant parce que c'est un secteur qui, depuis des décennies, a laissé filer ces gains de productivité, qui ont profité à tout le monde et pas au revenu agricole. C'est grâce aux gains de productivité agricole depuis des décennies que nous, consommateurs, nous avons une alimentation qui représente 13% de notre budget aujourd'hui. C’était plus de 40 % à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. C'est grâce à ces gains de productivité qu'on a créé l'artillerie lourde de l'agro-industrie et la grande distribution avec le modèle de l'hypermarché qui était une invention française. Ça fait des décennies qu'ils cèdent leurs gains de productivité à tout le monde.

La guerre en Ukraine n’a rien arrangé ?

Le moment de tension inédit que nous avons vécu, c'est la flambée des cours des matières premières avant la guerre en Ukraine et la flambée des cours de l'alimentation depuis la guerre en Ukraine. Mais je n'ose pas imaginer dans quel état serait l'agriculture française si nous n'avions pas adopté ces lois. Grâce à ces lois, je pense qu'on a évité le pire. Je pense que ce serait bien plus dévastateur.

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