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Précarité alimentaire : "Nous n'avons jamais connu une telle situation", s'alarme le président des Restos du cœur

Depuis le mois d'avril, l'association a accueilli 12% de personnes supplémentaires par rapport à la même période en 2021, annonce Patrice Douret, alors que s'ouvre mardi la 38e campagne annuelle des Restos.

Article rédigé par Mathilde Goupil - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une bénévole des Restos du cœur distribue de la nourriture à une bénéficiaire, le 2 décembre 2020 à Mane (Haute-Garonne). (LILIAN CAZABET / HANS LUCAS / AFP)

Après un rapport alarmant du Secours catholique, publié mi-novembre, sur la paupérisation liée à la crise économique, c'est au tour des Restos du cœur de s'inquiéter. Patrice Douret, le président de l'association fondée par Coluche, alerte sur la situation inédite des bénéficiaires, fragilisés par la crise liée au Covid-19 puis par l'inflation record. "L'arbitrage entre se loger, se chauffer et se nourrir est devenu de plus en plus complexe", assure-t-il dans une interview à franceinfo, au moment où est lancée, mardi 22 novembre, la 38e campagne annuelle de l'association.

franceinfo : La hausse des prix atteint plus de 6% sur un an, selon l'Insee. Elle est même de 12% sur les produits alimentaires. Cela a-t-il eu des conséquences sur le nombre de personnes accueillies aux Restos du cœur ?

Patrice Douret : Oui, parce que l'accès à l'alimentation est devenu beaucoup plus difficile pour les plus modestes. Depuis le mois d'avril, nous avons accueilli 12% de personnes en plus dans nos centres par rapport à la même période l'année dernière. Par ailleurs, la situation des personnes que l'on accueille s'est aggravée : 60% d'entre elles sont en-deça de la moitié du seuil de pauvreté (qui s'établit à 1 102 euros par mois, donc 551 euros), contre 50% lors de notre précédente campagne. Et 30% d'entre elles ne déclarent aucune ressource, contre 20% auparavant. L'arbitrage entre se loger, se chauffer et se nourrir est devenu de plus en plus complexe : parmi les personnes qu'on accueille pour la première fois, 17% n'ont pu faire qu'un seul repas la veille ! 

En trente-sept années d'existence, les Restos du cœur n'avaient jamais connu une telle situation, c'est pour ça qu'elle nous inquiète. Il y a eu une succession de crises  – crise sanitaire puis crise inflationniste – qui n'a pas permis à ceux qu'on accueille de souffler. Notre responsabilité est de les aider à sortir la tête de l'eau, afin d'éviter qu'ils ne basculent dans une précarité durable.

Patrice Douret, le président des Restos du cœur, le 29 juin 2021. (MAXPPP)

Quelles évolutions avez-vous constatées dans le profil des bénéficiaires ?

On accueille davantage de familles monoparentales, avec des mamans seules. Plus d'un enfant de moins de 3 ans sur quatre né dans une famille pauvre en France est accueilli aux Restos. Et le nombre de ces très jeunes enfants bénéficiaires est en hausse de 25% depuis le mois d'avril. La petite enfance était déjà l'une de nos priorités, mais après six mois d'inflation, on se rend compte qu'on va devoir aller plus vite et plus loin. On doit tout faire pour briser cette chaîne de reproduction de la précarité : il faut empêcher ces enfants de devenir les adultes pauvres de demain.

Concrètement, on va aider plus fortement sur l'alimentation des 0-3 ans, avec l'objectif d'apporter 100% de leur alimentation, en s'assurant qu'elle soit équilibrée, ce qui dégagera de l'argent aux mères pour autre chose. Et, dans le même temps, on va accompagner les mamans dans l'accès aux droits, à la formation, à l'emploi, à l'estime de soi, etc. Ce travail peut être fait grâce aux espaces "petite enfance" de nos centres, qui permettent que les enfants soient pris en charge pendant que la mère est accompagnée. Aujourd'hui, on a 400 espaces de ce type sur nos 1 900 centres. L'objectif est qu'il y en ait partout d'ici trois ans.

On voit également revenir dans nos centres des personnes retraitées ou des seniors qui pensaient s'en être sortis, mais qui sont de nouveau en difficulté car elles ont dû aider leurs enfants et petits-enfants pendant la crise sanitaire en payant leur loyer ou leurs factures.

La hausse du coût de l'énergie, du transport et des produits alimentaires touche aussi les bénévoles des Restos du cœur, dont certains sont aussi des bénéficiaires. Craignez-vous que certains ne puissent poursuivre leur engagement ?

Sans nos 70 000 bénévoles – et il en faudrait davantage pour nos nouveaux projets – on ne peut rien. Nos bénévoles donnent du temps, mais ils n'ont pas à donner de l'argent. Or, on a des retours croissants de bénévoles qui nous alertent sur le fait que leur activité leur coûte cher, par exemple à cause des déplacements en voiture. Il existe aujourd'hui un dispositif fiscal qui s'appelle la réduction d'impôt, qui permet de voir ses impôts réduits si on est bénévole pour compenser les frais engagés. Mais si on n'est pas imposable, on ne touche rien. Nous insistons pour que la réduction d'impôt devienne un crédit d'impôt afin que même des personnes non imposables puissent en bénéficier, via un remboursement de leurs frais. 

Les finances des associations sont également victimes de l'inflation. Les Restos du cœur vont-ils être capables, cet hiver, de maintenir le même niveau d'accueil ?

En tout cas, on a pris la décision de ne pas diminuer l'aide aux personnes qui viennent chez nous. Les Restos, c'est une association issue d'un clown, donc il faut garder le sourire. Mais on ne cache pas notre inquiétude sur nos ressources : on ne peut engager nos actions qu'avec la générosité du public, de nos partenaires et de l'Etat. La majeure partie de l'appel aux dons se fait l'hiver : quelle sera la possibilité des Français de continuer à aider l'association dans le contexte inflationniste ? Je ne sais pas. Pour l'instant on ne constate pas de baisse des dons. Mais vu l'augmentation de l'activité qui est à craindre, nous aurons besoin de la générosité de tous, probablement plus que d'habitude.

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