Recyclage : le retour de la consigne pour les bouteilles en plastique est-il une idée en carton ?
Le projet de loi antigaspillage, présenté en Conseil des ministres, propose de revenir à ce système mis en place dans les années 1970 pour les bouteilles en verre.
Quelques centimes de plus à l'achat mais une somme récupérée en rapportant la bouteille au magasin : c'est le principe de la consigne. Mis en place dans les années 1970 pour les bouteilles en verre, ce système pourrait faire son grand retour afin de mieux collecter les bouteilles en plastique. C'est même l'un des éléments phares du projet de loi anti-gaspillage présenté mercredi 10 juillet en Conseil des ministres par la secrétaire d'Etat à la Transition écologique Brune Poirson. Car le Premier ministre a fixé comme objectif de recycler 100% du plastique en 2025.
Le texte devrait consacrer la consigne comme le mode de collecte des emballages de boissons, sans toutefois rentrer dans les détails de mise en œuvre, qui seront précisés à l'automne. Malgré des effets sans doute positifs pour la collecte des déchets, la mise en place de ce système sur les bouteilles en plastique ne fait pas l'unanimité, notamment parmi les professionnels du recyclage et les collectivités territoriales, qui subiraient ainsi un manque à gagner.
Une solution pour recycler plus de bouteilles
Interrogée dans Le Journal du dimanche, la secrétaire d'Etat Brune Poirson confirme que "le principe [de la consigne] est arrêté car c'est le seul qui garantit des niveaux de collecte très élevés". De fait, les pays qui ont mis en place ce dispositif (de façon obligatoire ou incitative) sont les plus vertueux en matière de collecte des bouteilles en plastique. En Allemagne, le taux de collecte atteint ainsi les 90%. Ce chiffre est de 85,5% en Estonie, 85% en Islande, 90% au Danemark, 85,2% en Suède ou encore 90% en Finlande. La France, elle, est à la traîne : seulement 58% des bouteilles en plastique sont recyclées, selon Citeo, l'organisme chargé de la collecte des emballages ménagers.
Les industriels de la boisson soutiennent cette mesure. "La consigne pour le recyclage des emballages de boissons est nécessaire à une économie vraiment circulaire", estiment-ils d'ailleurs dans une tribune également publiée dans Le Journal du dimanche. Reste à en délimiter les contours. Quels seront les emballages concernés par cette consigne ? La consigne doit-elle déboucher sur un recyclage des emballages ou bien sur leur réemploi ? Quid du montant de la consigne et de son financement ? Ces questions, pas encore tranchées, doivent être examinées par un comité de pilotage regroupant les acteurs concernés et mis en place au mois de juin par la secrétaire d'Etat. Ses premières conclusions sont attendues en septembre, avant un rapport final à l'automne.
Une mesure qui pourrait coûter cher
Selon un rapport confidentiel rédigé par Citeo et par le Collectif Boissons, qui regroupe des industriels de la boisson, la mise en place de la consigne pourrait demander un investissement de plus d'un milliard d'euros pour financer les centres de tri et les machines destinées à la collecte. Le coût brut de fonctionnement s'élèverait quant à lui à 575 millions d'euros, selon ce document dévoilé par le magazine Déchets infos.
"C'est absolument énorme. Cette somme sera destinée à recycler 370 000 tonnes de bouteilles en plastique et de canettes. A titre de comparaison, le budget actuel de Citeo pour les emballages est de 667 millions d'euros pour recycler 3,4 millions de tonnes d'emballages. Cela va donc coûter huit fois plus cher à la tonne", s'alarme Olivier Guichardaz, rédacteur en chef de Déchets infos.
Ce rapport se base sur l'hypothèse d'une consigne fixée à 15 centimes d'euros par bouteille et la création de 110 000 points de collecte et de 20 centres de tri. Mais au gouvernement, on conteste toutefois la pertinence de ces chiffres. "Comment calculer le coût de la mise en place alors que le périmètre n'a pas encore été arrêté ?" s'interroge-t-on dans l'entourage de Brune Poirson.
Une fausse bonne idée pour les pros du secteur
Les professionnels du recyclage sont plus que dubitatifs sur cet éventuel retour de la consigne. Jean-Luc Petithuguenin, PDG du groupe Paprec et vice-président de Federec, fédération qui regroupe les industriels du recyclage, y voit une "mesure des années 1970 qui copie ce qui se passe en Allemagne dans un tout autre système". Celle-ci propose plutôt d'améliorer le tri des déchets "à la française", avec un bac jaune pour recueillir à la fois les emballages et les autres déchets secs comme le textile. A côté, les déchets humides seraient divisés entre biodéchets, destinés au compostage et déchets humides sales (couches, lingettes, mouchoirs, cotons-tiges, etc).
Autre fédération des entreprises du recyclage, la Fnade n'est pas plus emballée par l'idée d'une consigne. "Où sont les études d'impact pour expliquer le coût de transition et le coût de fonctionnement ?", s'interroge son président, Philippe Maillard, par ailleurs directeur général délégué de Suez, le géant mondial du traitement de l'eau et des déchets. "On va changer un dispositif alors qu'on est en phase de transition, pour plusieurs dizaines ou centaines de millions d'euros, sans que ce soit étudié."
Une perte pour les collectivités locales
Les collectivités locales, aujourd'hui chargées de collecter les emballages et de les revendre, risquent de perdre une source de revenus non négligeable. Car les bouteilles en plastique, plus faciles à recycler que d'autres types de déchets, sont fortement valorisables. "Nous aurons moins de déchets qui ont de la valeur, or c'est ceux-là que nous revendons. On nous retire ce qui est rentable", s'inquiète l'Association des maires de France dans Le Journal du dimanche.
Les particuliers eux-mêmes pourraient se retrouver à payer une partie de la facture. "Même en atteignant l'objectif européen de 90% de collecte, prélever 15 centimes sur chacune des 16 milliards de bouteilles et canettes, c’est ponctionner 250 millions d’euros par an sur le budget des ménages en consignes non retournées", calcule ainsi Federec dans une lettre ouverte au Premier ministre publiée dans les colonnes du JDD.
Le gouvernement, de son côté, se veut rassurant et espère que le comité de pilotage mis en place permette de dégager un consensus. "Aujourd'hui, les grands fabricants de boisson ont très envie de mettre en place ce système de consigne de façon unilatérale. Notre projet de loi précise au contraire qu'il sera organisé par l'Etat, afin que personne ne soit lésé", fait valoir l'entourage de Brune Poirson.
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