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Un maire a-t-il le droit d'exclure de la cantine scolaire un enfant qui ne mange pas de viande ?

Dans l'Isère, le maire de Pont-de-Chéruy s'abrite derrière le règlement intérieur de sa cantine scolaire pour justifier cette exclusion. Mais pour les juristes, exclure un enfant au motif qu'il ne mange pas de viande est discriminatoire et donc illégal.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Dans une cantine à Valence (Drôme), le 3 septembre 2019. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / AFP)

Kamil, 8 ans, "ne sera plus accepté" à la cantine de son école, après les vacances de Noël. Le maire de Pont-de-Chéruy (Isère), Alain Tuduri, a décidé d'exclure l'élève de CE2, parce que ce dernier "refusait de manger de la viande lorsque celle-ci était inscrite au menu", et ce "depuis la rentrée scolaire". Les parents de l'enfant ont été informés de la sanction, mi-novembre, par lettre recommandée avec accusé de reception. La mère a publié les photos du courrier sur sa page Facebook, début décembre, afin de dénoncer "l'injustice" subie par son garçon. Son message a été partagé et commenté des milliers de fois.

Les parents de Kamil ont également fait appel à un avocat, Mohamed Djerbi, par ailleurs président de la Licra à Grenoble. Celui-ci menace de saisir le tribunal adminisratif, afin d'obtenir l'annulation de l'exclusion, et de porter plainte contre l'édile au pénal, pour le contraindre à revenir sur sa décision et à formuler des excuses publiques, comme le relate France 3 Auvergne Rhône-Alpes. Mais un maire a-t-il le droit d'exclure de la cantine scolaire un enfant qui refuse de manger de la viande ?

Le maire applique le règlement de la cantine

Face à la caméra de France 3, le maire de Pont-de-Chéruy, Alain Tuduri, se retranche derrière le règlement de sa cantine scolaire. Et voici les points qu'il fait valoir : "Aucune instruction stipulant que l'enfant ne doit pas manger de viande ne sera prise en compte", "un enfant refusant de goûter et de manger ce qui lui sera servi à la cantine sera signalé [à l'employée municipale chargée des inscriptions] puis aux parents", enfin "en cas de refus systématique, ce dernier ne pourra pas être accepté à la cantine"

Interrogé par 20 Minutes, l'édile ajoute qu'il soupçonne le garçon de ne pas vouloir manger de viande à cause de ses convictions religieuses. "Le personnel de la cantine a remarqué qu'il ne mangeait pas de viande, mais les parents ne nous ont jamais dit qu'il était végétarien donc je doute qu'il le soit. Il ne mange pas de viande à la cantine ni chez lui, je trouve ça très particulier, il n'a aucun certificat médical ou autre (...). Pour moi, le refus de manger de la viande est un signe religieux clair, et je ne souhaite pas que la religion rentre dans les affaires scolaires de Pont-de-Chéruy", tranche l'élu.

Pour l'avocat des parents de Kamil, ces arguments sont irrecevables. "On ne peut pas contraindre un enfant à manger de la viande, s'il ne le désire pas. Et ça, peut importe la raison de ce refus : que ce soit une aspiration personnelle, religieuse, qu'il soit vegan", énumère Mohamed Djerbi, interviewé par France 3. L'avocat précise à 20 Minutes que les parents de Kamil ont expliqué à la mairie que leur enfant refusait de manger de la viande "pour raison personnelle". Et il insiste : "On ne peut pas contraindre un enfant à manger de la viande s'il n'aime pas ça".

Joint par franceinfo, Louis Le Foyer de Costil, avocat spécialisé en droit public au barreau de Paris, confirme cette analyse : "Ce n'est pas parce qu'il y a un règlement intérieur de la cantine scolaire que celui-ci est nécessairement opposable [comme le fait le maire]. Ses clauses peuvent être discriminatoires et donc ne pas être licites."

C'est complètement illégal. Il n'y a aucune raison licite d'exclure cet enfant. Il a parfaitement le droit de ne pas vouloir finir son assiette.

Louis Le Foyer de Costil, avocat en droit public

à franceinfo

Louis Le Foyer de Costil rappelle que l'accès à la cantine scolaire est un droit pour tous les enfants : "La cantine scolaire est un service public facultatif dans les écoles primaires. Cela signifie qu'il peut ne pas exister. Mais lorsqu'il est mis en place, il doit être accessible à tout le monde, sans discrimination." C'est exactement ce que fixe le Code de l'éducation : "L'inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille."

"Une quantité minimale de protéines animales pour les enfants"

Dans son dernier rapport en date sur les cantines scolaires, le Défenseur des droits constate "l'augmentation significative de réclamations ayant trait à l'éviction de la viande et en général des protéines animales au sein des menus servis dans les restaurants scolaires". Notamment, explique Jacques Toubon, parce que des parents, soucieux de protéger l'environnement, refusent que leurs enfants consomment de la viande.

Or, le Défenseur des droits observe que le Programme national nutrition santé, "qui sert de guide à l'élaboration des menus servis dans les cantines, prévoit une quantité minimale de protéines animales pour les enfants de la classe d'âge concernée". Par conséquent, "les collectivités compétentes ou leurs prestataires élaborent les repas suivant des standards et des normes de qualité nutritionnelle qui ne coïncident pas toujours avec les objectifs recherchés par les parents".

Il existe bien un dispositif appelé Projet d'Accueil Individualisé, qui permet notamment d'adapter les repas. Mais celui-ci ne concerne que les enfants et adolescents souffrant de pathologies chroniques, d'allergies ou d'intolérances alimentaires. A ce jour, souligne donc Jacques Toubon, "seule une évaluation médicale peut être prise en compte par les services de restauration scolaire pour modifier les menus, voire les modalités des repas".

Les repas végétariens de substitution pas obligatoires

En dehors de cet aménagement médical, "aucun texte législatif ou réglementaire n'impose aux communes un aménagement des repas en fonction des convictions philosophiques ou religieuses des familles", relève encore le Défenseur des droits. Pour autant, "si la collectivité n’est pas tenue d’accéder aux demandes de menus de substitution, elle ne peut en revanche en aucun cas, sauf à porter une atteinte grave à la liberté de religion, contraindre un enfant à manger un plat contenant un aliment contraire aux prescriptions alimentaires que lui imposent ses convictions religieuses".

Reste que dans le cas de Kamil, ses parents n'ont pas justifié le refus de leur enfant de manger de la viande par une quelconque pratique religieuse. Pas plus qu'ils n'ont demandé de repas de substitution, comme le confirment leur avocat et le maire de la commune à 20 Minutes. Ils demandent juste que leur enfant puisse continuer à aller à la cantine de son école et n'y manger que ce qu'il veut. Afin d'éviter de tels litiges, Jacques Toubon "préconise donc une réflexion sur la généralisation du repas végétarien de substitution".

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