L'article à lire pour comprendre l'affaire des "bébés nés sans bras"
Des cas ont été signalés dans l'Ain, le Morbihan, la Loire-Atlantique et les Bouches-du-Rhône. Le fait que certains soient groupés dans le temps et sur un lieu donné suscite des questions. Franceinfo apporte des éléments de réponse.
Des bébés nés avec une malformation aux bras : l'affaire a fait beaucoup de bruit au moment de sa médiatisation, à l'automne 2018. En réalité, il s'agit d'enfants touchés par l'absence de formation de doigts, d'une main ou d'un avant-bras au cours du développement de l'embryon, appelée agénésie transverse des membres supérieurs (ATMS). Plusieurs cas groupés ont été identifiés dans l'Ain, la Loire-Atlantique et le Morbihan, tandis que trois autres vont faire l'objet de vérifications dans les Bouches-du-Rhône. Quatre mois plus tard, les familles de Guidel (Morbihan) réclament dans une lettre ouverte à la ministre de la Santé plus de "transparence" sur les nouvelles investigations menées dans cette affaire.
Comment est née l'affaire ?
A l'été 2018, le Remera, le plus ancien des six registres des malformations congénitales de France, basé à Lyon et dirigé par Emmanuelle Amar, révèle que plusieurs bébés sont nés ces dernières années sans mains, sans bras ou sans avant-bras, dans un périmètre restreint situé dans le département de l'Ain. Ces agénésies concernent sept naissances entre 2009 et 2014. "En décembre 2010, le registre Remera est contacté par la Cire (Cellule inter-régionale d'épidémiologie) Rhône-Alpes à la suite du signalement, effectué par un médecin généraliste de l'Ain, de deux naissances distinctes d'enfants porteurs d'une agénésie transverse du membre supérieur", peut-on lire dans le rapport du Remera, daté du 25 juillet. Deux autres groupes de cas ont été observés, en Loire-Atlantique et en Bretagne.
L'affaire n'est pas tout de suite médiatisée. C'est le journal Le Monde qui, le premier, s'en fait l'écho, le 15 septembre, avant d'être suivi le 26 septembre par "L'Œil du 20 heures" de France 2. Santé publique France rend, le 4 octobre, un rapport sur ces signalements de malformations. Elle conclut que le nombre de cas de l'Ain n'est pas statistiquement supérieur à la moyenne nationale. Mais il y a bien, selon elle, un excès de cas en Loire-Atlantique et en Bretagne, qui restent sans explication. Le 16 octobre, des biostatisticiens interrogés par Le Monde épinglent ce rapport et dénoncent des erreurs méthodologiques "grossières" concernant l'Ain. Cinq jours plus tard, le gouvernement annonce le lancement d'une nouvelle enquête avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et Santé publique France.
Combien de cas ont été répertoriés ?
• Dans l'Ain, le Remera a recensé sept enfants nés entre 2009 et 2014. Ils sont nés sans avant-bras, sans poignet ou sans main, soit du côté gauche, soit à droite. Par ailleurs, cinq enfants sur sept sont des garçons. Un huitième cas d'enfant né sans main, en 2012, dans une famille résidant dans la même zone, est identifié, le 30 octobre. Puis, au même moment, Santé publique France annonce avoir repéré onze cas supplémentaires dans l'Ain, grâce aux données recueillies auprès des hôpitaux. Toutefois, selon le Remera, ces cas supplémentaires n'en sont pas. "Il n'y a qu'un cas d'agénésie. Sinon, ce sont des anomalies au niveau d'un rein, d'une oreille... voire pas de malformation", a affirmé mi-janvier à franceinfo Emmanuelle Amar.
• Dans le Morbihan, quatre bébés sont nés avec des malformations entre 2011 et 2013, de mères domiciliées dans la même commune, à Guidel. Trois enfants n'ont pas d'avant-bras, la quatrième n'a que trois doigts à la main gauche. Le 7 décembre, Santé publique France a annoncé que huit autres enfants atteints d'agénésie dans le Morbihan avaient été intégrés à l’enquête, sans qu'on sache précisément qui ils sont et de quelle façon les investigations sur ces cas sont menées. Mais on ne peut pas parler de "nouveaux cas".
• En Loire-Atlantique, trois cas d'enfants nés en 2007 et 2008 et dont les parents sont originaires de la même commune, Mouzeil, sont répertoriés. L'un d'eux a une malformation aux doigts, l'un n'a pas de main droite et le dernier n'a pas de main gauche.
• Dans les Bouches-du-Rhône, Le Parisien a fait état, le 21 janvier, de trois signalements de "bébés nés sans bras". Il s’agit de trois petites filles, nées en 2016 (en juin, août, et novembre) dans un rayon de 30 km autour de Vitrolles. Ce sont les parents qui se sont manifestés auprès d'Emmanuelle Amar et d'Annie Levy-Mozziconacci, médecin généticienne et élue PS à Marseille. Des vérifications vont avoir lieu pour savoir si ces cas sont comparables à ceux sur lesquels enquêtent les autorités sanitaires.
Quelles sont les causes de ces malformations ?
C'est la principale question et elle reste sans réponse. Les causes peuvent en effet être génétiques, liées à des contraintes physiques ou dues à des substances toxiques. Selon certains élus écologistes, comme l'eurodéputé Yannick Jadot, les pesticides pourraient être à l'origine de ces malformations. Mais à ce stade, aucune preuve scientifique ne vient étayer cette hypothèse. "Peut-être qu'il n'y a pas une cause unique et qu'il y a des causes multiples, alimentaire, environnementale ou médicamenteuse", a estimé, le 22 janvier, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, en marge de ses vœux à la presse.
Dans l'Ain, le Morbihan et la Loire-Atlantique, les mères des enfants atteints d'agénésie ont rempli des questionnaires sur leurs habitudes de vie pendant la grossesse. "Ces investigations n'ont malheureusement pas permis d'identifier une exposition commune qui pourrait être à l'origine de ces malformations graves", conclut Santé publique France. C'est pourquoi certaines familles réclament des investigations de terrain, plus larges, pour chercher une cause environnementale.
Pourquoi juge-t-on que certains cas sont suspects et d'autres non ?
"Il y a en France, chaque année, 150 cas de malformations", explique, dans une interview au Parisien en octobre 2018, François Bourdillon, le directeur général de l'agence Santé publique France. Pour autant, tous ces cas ne sont pas considérés comme suspects. Les soupçons sont vifs lorsqu'il s'agit de "clusters" (agglomérats), c'est-à-dire des cas groupés dans un temps et un lieu donné, ce qui pose question. Les ATMS ont une prévalence (le nombre de cas de maladies à un moment donné) de 1,7 cas sur 10 000 naissances par an, selon le site lequotidiendumedecin.fr.
Si le nombre de cas dépasse ce taux dans une zone géographique restreinte, les organismes de santé, comme les registres de malformations congénitales, sont alertés. Ensuite, des investigations sont menées pour déterminer si l'on est, ou non, en présence d'un "cluster". C'est ce qui va se produire dans les Bouches-du-Rhône, par exemple. La vérification va être menée par la Cire Paca, délégation régionale de Santé publique France. Toutefois, déceler ces "clusters" "fait partie des plus grandes difficultés de l'investigation épidémiologique", observe le professeur William Dab, titulaire de la chaire Hygiène et sécurité aux Arts et métiers (Cnam) dans Le Monde.
C'est ce qui explique pourquoi il y a parfois débat. Ainsi, dans l'Ain, selon Santé publique France, l'analyse des sept cas signalés entre 2009 et 2014 n'a pas mis "en évidence un excès de cas par rapport à la moyenne nationale". Une conclusion que réfute le Remera, pour qui il y a bien une anomalie car les sept cas signalés entre 2009 et 2014 ont été répertoriés dans un rayon de 25 kilomètres autour de Druillat.
Pourquoi n'arrive-t-on pas à avoir des données fiables sur le sujet ?
Ces cas de malformations ne sont pas répertoriés sur l'ensemble du territoire. Les 150 malformations recensées par an, en France, comme l'avance François Bourdillon dans Le Parisien, ne sont qu'une estimation.
Il existe actuellement six registres de malformations congénitales en France : en Bretagne, à Paris, aux Antilles, à La Réunion et deux en Auvergne-Rhône-Alpes, dont le Remera qui est à l'origine de l'affaire. Leur rôle est de passer en revue les naissances dans les départements qu'ils couvrent, pour repérer et récolter des informations sur les cas de malformations. Ils sont coordonnés par Santé publique France et ne couvrent que 19 départements et 19% des naissances. Pour remédier à cela, l'agence sanitaire a proposé, le 4 octobre, de créer une "fédération nationale des six registres sur une base de fonctionnement commun".
Des responsables d'associations réunis à Marseille et engagés dans l'environnement, des médecins hospitalo-universitaires, des chercheurs, des juristes, des épidémiologistes et des élus locaux et nationaux ont repris cette idée, début décembre, pour obtenir "en urgence la mise en place d'un registre des malformations congénitales." Ils ont relancé leur appel le 20 janvier.
Pourquoi la lanceuse d'alerte du Remera est-elle au cœur d'une polémique ?
A l'automne, le Remera et l'agence Santé publique France se sont livrés bataille autour d'Emmanuelle Amar. Ségolène Aymé, qui préside le comité chargé d'évaluer les registres, dont celui du Remera, l'a accusée, le 19 octobre, de "faire en sorte de jeter la suspicion sur tout et tous, dans la plus grande tradition complotiste." Pour elle, l'existence d'un groupe de cas suspects dans l'Ain peut, au final, être le fait du hasard. Emmanuelle Amar "a manipulé les médias et l'opinion publique", ajoute Ségolène Aymé, selon qui "la bonne attitude est de continuer à surveiller pour vérifier que le taux de malformations n'augmente pas avec le temps".
"Une accusation sans fondement", a répliqué Emmanuelle Amar. Le 22 octobre, cette dernière s'est indignée que la nouvelle enquête lancée à la demande de la ministre de la Santé soit confiée à l'agence Santé publique France. "On ne peut pas faire le choix de confier les investigations à ceux-là mêmes qui, la veille, nous disaient 'Circulez, il n'y a rien à voir', qui mettaient en doute notre probité, notre honneur en disant qu'on avait manipulé les médias et l'opinion", avait-elle confié à franceinfo.
Le différend a atteint son point culminant lorsqu'une procédure de licenciement du personnel du Remera a été engagée. Mais celle-ci a été ensuite suspendue. La structure a finalement obtenu un financement pour 2019.
Comment réagit le gouvernement ?
Le gouvernement a relancé l'affaire après la publication controversée, début octobre, du rapport de l'agence Santé publique France. La ministre de la Santé a annoncé, le 21 octobre, une nouvelle enquête. Trois mois plus tard, Agnès Buzyn tient le même discours. "Il n'y a pas une épidémie ou une augmentation du nombre de cas, a-t-elle martelé. Nous cherchons à trouver des causes à ces malformations et nous allons investiguer tous les cas dans toutes les régions de France."
Comment est menée l'enquête ?
Seule la première phase de l'enquête a débuté : il s'agit de recueillir les signalements émis par les familles concernées par l'agénésie. Le rapport d'étape, transmis à la ministre de la Santé et qui doit être dévoilé le 31 janvier 2019, doit permettre de connaître la "méthode d'investigation", dont les questions à poser aux familles concernées. "Le deuxième rapport, sur l'enquête à proprement parler, nous sera remis au mois de juin. Nous faisons tout pour qu'il apporte des réponses", a assuré Agnès Buzyn.
Santé publique France et l'Anses sont chargées de conduire ces investigations. Pour mener l'enquête, les deux agences s'appuieront sur un comité composé de 12 à 15 personnalités scientifiques. Un comité d'orientation et d'information est aussi mis en place. Présidé par une personnalité extérieure, il associe des professionnels de santé, les ARS, une représentante de l'Assedéa, l'association de soutien aux familles d'enfants nés avec une malformation de membres, ainsi que des parents d'enfants concernés.
J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?
L'affaire des bébés nés sans avant-bras, sans mains, ou bien sans doigts, agite depuis l'automne 2018 le monde scientifique et politique. En juillet, le Remera, le plus ancien des six registres des malformations congénitales de France, dirigé par Emmanuelle Amar, révèle que sept bébés atteints d'agénésie sont nés entre 2009 et 2014, dans un périmètre restreint de l'Ain. Des cas ont également été signalés en Bretagne et en Loire-Atlantique. L'agence sanitaire Santé publique France a conclu à un excès de cas dans ces deux dernières zones géographiques, mais ne décèle rien de suspect dans l'Ain. Des conclusions qui indignent la directrice du Remera.
Le gouvernement annonce finalement le lancement d'une enquête, menée par l'Anses et Santé publique France. Un rapport d'étape doit être publié au début de l'année 2019. Selon la ministre de la Santé, il portera sur "la méthode d'investigation", dont les questions à poser aux familles concernées.
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