Quatre questions sur la correction de gènes défectueux chez des embryons humains grâce aux "ciseaux génétiques"
Cette expérimentation ouvre potentiellement la voie à de grands progrès dans le traitement des maladies génétiques. Mais elle suscite aussi de vives inquiétudes sur le plan éthique.
Quand la réalité rattrape la science-fiction. Une équipe internationale de chercheurs, réunie au sein de l'université des sciences et de la médecine de l'Oregon (Etats-Unis), a obtenu un taux de réussite proche de 100%, lors de la correction, chez des embryons humains, de gènes porteurs d’une maladie héréditaire, rapporte une étude publiée dans la revue Nature (lien en anglais), mercredi 2 août. Mais si cette expérimentation ouvre potentiellement la voie à de grands progrès dans le traitement des maladies génétiques, elle pose aussi question sur le plan éthique. Franceinfo fait le point.
1Quelle technique les scientifiques ont-ils utilisé ?
Pour corriger des gènes porteurs d'une grave maladie héréditaire, les chercheurs de l'université de l'Oregon ont utilisé la technique CRISPR-Cas9, dite des "ciseaux génétiques". Cette technique n'est pas nouvelle, puisqu'elle a été dévoilée en 2012. Mais jusqu'à présent, elle n'avait été expérimentée que par la Chine, avec des résultats beaucoup moins concluants.
Pour la première fois aux Etats-Unis, les "ciseaux génétiques" ont donc été utilisés pour retirer les parties défectueuses du génome d'embryons viables afin de les remplacer par de nouveaux morceaux d'ADN.
Les auteurs de cette étude, des scientifiques américains, chinois et sud-coréens, ont réalisé une fécondation in vitro (FIV) d'ovocytes féminins normaux par des spermatozoïdes porteurs du gène défectueux. En même temps que le sperme, ils ont introduit les outils d'édition génétique lors d'un cycle très précis de l'ovocyte (la métaphase II). Objectif : effacer une mutation génétique liée à l'émergence de la cardiomyopathie hypertrophique, une maladie cardiaque héréditaire, qui touche environ 1 personne sur 500 et peut entraîner des morts subites, notamment lors de pratiques sportives.
L'expérience s'est avérée plutôt concluante, puisque 72,4% des embryons testés (42 sur 58) ont été corrigés, alors que sans l'utilisation de la technique des "ciseaux génétiques", les embryons conçus par au moins un parent atteint de cardiomyopathie hypertrophique, auraient eu une chance sur deux d'hériter d'un gène sain. Autre source de satisfaction pour les auteurs de l'étude menée aux Etats-Unis : leur équipe est parvenue à déjouer le phénomène du "mosaïcisme" (quand des gènes défectueux et des gènes sains sont présents simultanément dans l'embryon), que n'avaient pas réussi à éviter les auteurs d'une expérience similaire menée en Chine en 2015.
Enfin, l'expérimentation américaine a été menée avec une grande précision, soulignent les auteurs de l'étude. Ces derniers sont vraisemblablement parvenus à éviter les "off-targets", des modifications non maîtrisées de l'ADN, dues à l'utilisation du CRISPR-Cas9. La viabilité des embryons sur lesquels ils sont intervenus n'a pas été altérée.
2Quels progrès pourraient engendrer ces avancées scientifiques ?
L'utilisation des "ciseaux génétiques" n'en est, pour l'heure, qu'à un stade expérimental, mais "ces outils peuvent encore être améliorés pour atteindre un taux de réussite de 90%, voire 100%", a assuré l'un des auteurs de l'étude, Shoukhrat Mitalipov. Toutefois, l'expérimentation menée dans l'université de l'Oregon ouvre potentiellement la voie à de grandes avancées en matière de santé.
Si la fiabilité du CRISPR-Cas9 s'améliorait encore, cette technique pourrait "potentiellement servir à prévenir la transmission de maladies génétiques aux générations futures", a commenté, lors d'une conférence de presse téléphonique, l'un des auteurs de l'étude, Paula Amato. Il serait en effet possible de corriger d'autres mutations génétiques que celles impliquées dans la cardiomyopathie hypertrophique.
Cette pathologie, sur laquelle se sont penchés les auteurs de l'étude américano-sino-sud-coréenne, peut impliquer plusieurs mutations dans plusieurs gènes. Mais la correction d'une mutation sur l'un des principaux gènes responsable de la maladie (comme le MYBPC3, visé par l'étude parue le 2 août 2017), peut réduire grandement le risque de survenue de la pathologie. Les enjeux sont donc énormes, puisque dix mille maladies génétiques sont liées à la mutation d'un seul gène.
3Pourquoi ces avancées suscitent-elles des inquiétudes ?
Même s'ils suscitent de nombreux espoirs au sein de la communauté scientifique, les "ciseaux génétiques" génèrent également de vives inquiétudes. Bien que cette perspective soit encore lointaine, cette technique pourrait théoriquement servir à donner naissance à des bébés génétiquement modifiés et permettre de choisir la couleur de leurs cheveux ou d'augmenter leur force physique. Un scénario qui n'est pas sans rappeler le roman d'anticipation dystopique Le Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley. "Des recherches supplémentaires ainsi qu'un débat éthique seront évidemment nécessaires avant des essais cliniques", a d'ailleurs reconnu l'un des auteurs de l'étude, Paula Amato, lors d'une conférence de presse téléphonique.
"La question qui sera la plus débattue est de savoir si le principe même de modifier les gènes d'un embryon in vitro est acceptable", analyse également le professeur Darren Griffin, de l'université du Kent, cité par le Science Media Centre.
Les premières utilisations du CRISPR-Cas9 avaient d'ailleurs suscité une vive polémique au sein de la communauté scientifique en 2015. L'une des inventeuses de cette technique d'édition génétique, Jennifer Doudna, avait qualifié d'"urgente" la tenue de discussions sur les enjeux éthiques de l'utilisation des "ciseaux génétiques", dans la revue Nature.
4Comment la recherche sur les embryons humains est-elle encadrée ?
La recherche sur les embryons humains est strictement encadrée. Aux Etats-Unis, les expérimentations en la matière sont limitées par l'interdiction de puiser dans les fonds publics pour financer la recherche sur les embryons. Par ailleurs, il n'était pas question d'implanter ceux de l'étude parue le 2 août dans l'utérus d'une femme pour entamer une grossesse. C'est pourquoi les scientifiques ne les ont pas laissés se développer au-delà de quelques jours.
De l'autre côté de l'Atlantique, la convention d'Oviedo (convention pour la protection des droits de l’homme et la dignité de l’être humain), qui date de 1997, a été ratifiée en 2011 par la France. Elle autorise les "interventions sur le génome humain" uniquement pour des "raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elles n'ont pas pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance" – ce qui exclut donc, pour l'heure, de reproduire l'expérience américaine en France.
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