Les enfants de Gustave-Roussy : à Villejuif, la vie malgré le cancer
À l'occasion de la Journée mondiale du cancer de l'enfant, jeudi, franceinfo s'est rendu dans le plus grand centre européen dédié à cette maladie, situé dans le Val-de-Marne.
Le cancer de l'enfant est un fléau encore méconnu. Pourtant, 2 500 cas sont diagnostiqués chaque année en France. La moitié d'entre eux sont des enfants de moins de 5 ans. Le cancer est la deuxième cause de mortalité chez l'enfant et chez l'adolescent. Le 15 février de chaque année, une Journée internationale lui est dédiée.
Le plus grand centre de lutte contre le cancer de l'enfant en Europe, l'Institut Gustave-Roussy, se trouve à Villejuif, dans le Val-de-Marne, au sud de Paris. Ici, les jeunes patients sont soignés par des experts et entourés par des équipes spécialisées qui, avec leurs parents, les aident à préparer la vie d'après.
L'Institut Gustave-Roussy est un énorme bâtiment en béton gris, aux airs de château fort, dominant la colline qui longe l'autoroute A6, entre Paris et Lyon. Direction le 9e étage, au département pédiatrique. Étonnant service où des guirlandes de Noël sont encore accrochées, où on croise des clowns, où des jouets traînent dans les couloirs et où, de temps en temps, il faut s'écarter pour laisser passer une voiture à pédales conduite par un petit patient.
Dans la salle de restaurant, Maxence et Maxence, deux copains, finissent leur plat de riz, accompagnés de leurs mamans. "Après, on fait de la tablette", lance, impatient, l'un des petits garçons de 7 ans et demi. "Il est en début de protocole", raconte sa mère, Justine. La famille a appris la nouvelle durant "la semaine de Noël". Depuis que son fils est hospitalisé, Justine essaye de venir tous les jours : "J'ai arrêté de travaillé le temps du protocole donc je peux me permettre d'être là", explique-t-elle. Et si ce n'est pas elle, c'est le papa de Maxence qui vient.
Des cancers différents de ceux des adultes
Le département pédiatrie a une capacité de 43 places et soigne des patients de 0 à 21 ans. Ces jeunes peuvent être accueillis en hospitalisation de jour, mais aussi pris en charge en continu dans une unité protégée. Chaque cas ou presque est un défi car les cancers des enfants ne sont pas les mêmes que ceux des adultes : "Beaucoup de cancers de l'adulte sont développé à partir de tissus de revêtement : le revêtement des poumons pour le cancer du poumon, le revêtement de l'intestin pour le cancer de l'intestin, indique le docteur Jacques Grill, spécialiste du cerveau. Les tumeurs de l'enfant, elles, sont plus d'origine embryonnaire, c'est-à-dire que quelque chose se passe mal dans le développement de l'organe."
L'autre différence avec les cancers de l'adulte est que, nous, pédiatres, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une survie à cinq ans, parce que les enfants vont avoir toute une vie derrière, ou pas.
Jacques Grill, pédiatre oncologue à l'Institut Gustave-Roussyà franceinfo
Jacques Grill et la trentaine de médecins du service –eux aussi pédiatres pour la plupart – se retrouvent chaque semaine pour une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Autour de la table, il y a aussi des chirurgiens d'autres hôpitaux franciliens. Chaque cas est examiné à tour de rôle.
"Le principe de cette réunion, et la façon dont j'essaie de l'animer, explique le docteur Dominique Valteau-Couanet, à la tête du service, est de susciter les propositions thérapeutiques et d'essayer d'essorer les cerveaux de chacun, pour tirer le maximum de ce qu'ils savent et pour que soit mis, dans la discussion, le maximum de connaissances. Il n'est pas question d'avoir un mode de fonctionnement du haut vers le bas, avec quelqu'un qui sait et qui distille son savoir. On est beaucoup plus intelligent à plusieurs que tout seul. Et c'est cet échange, cette réflexion, qui font progresser les choses et amènent à prendre une bonne décision."
"Je veux oublier la maladie"
Au 9e étage, certaines portes donnent sur des salles de jeux, une salle d'arts plastiques, une école. Une autre, encore, sur "le squat" : dans cette pièce réservée aux ados, les adultes n'entrent que sur autorisation. Dioconda, 18 ans, est assis sur le canapé. Il paraît fatigué. Cela fait un an et demi qu'il est traité ici pour un cancer de la plèvre du poumon. Il se souvient du choc ressenti le jour où on lui a diagnostiqué la maladie, après des mois d'errance médicale : "C'est une phrase que je ne vais jamais oublier : 'Tu as une sorte de cancer.' Je la regarde et je dis : 'Quoi ?' Elle me dit : 'Tu as une sorte de cancer.' Ma mère était dans tous ses états et moi, je ne savais pas s'il me restait du temps à vivre, je ne savais rien du tout."
Après la maladie, le truc que je déteste le plus, c'est le regard des gens.
Dioconda, 18 ansà franceinfo
"Parce que, déjà, il y a des gens qui vont dire : 'Pourquoi il n'a pas de sourcils, lui ?', poursuit Dioconda. Ma première chimio m'a fait perdre mes cheveux et mes sourcils. En gros, je ne suis plus comme avant. Je suis la personne à protéger et, ça, je déteste." Sa voix s'étrangle. Il retient ses larmes : "Moi, je veux être comme eux, je veux être comme eux, répète-t-il. Je veux oublier la maladie."
Ils paraissent bien fragiles, ces petits patients croisés dans les chambres ou les couloirs, tirant souvent des cathéters roulants. Pourtant, ils supportent parfois plus que les adultes, assure une autre pédiatre cancérologue du service, le docteur Véronique Minard-Colin.
Les parents vivent à quelques minutes de là
Le soir, les couloirs du 9e étage se vident et la Maison des parents prend vie. Construite dans le mouvement des Maisons Ronald McDonald, aux États-Unis, elles sont à quelques minutes à pied de l'Institut, elle permet aux parents de rester sur place et, aux enfants qui le peuvent, de rompre avec l'univers hospitalier et de retrouver un peu de la douceur du cocon familial, loin des appareils médicalisés et des blouses blanches.
C'est ici que vit Corinne. Cette mère de famille est venue de La Réunion avec toute sa famille pour rester au plus près de sa fille de 15 ans, atteinte d'un cancer des ovaires. "C'était la chute, se souvient-elle. J'étais tellement choquée que j'ai pris la voiture et que j'ai failli foncer dans un mur." Sa fille est entrée à l'Institut Gustave-Roussy le 3 janvier. Elle est actuellement en réanimation. "Ça va, entre guillemets", commente sobrement Corinne qui s'apprête à préparer des plats réunionnais pour les autres parents de la Maison. C'est une façon de s'occuper, en attendant. Elle rêve d'une grande fête, le jour où sa fille sortira du coma, le jour où elle rouvrira ses yeux – qu'on imagine si beaux – et où elle pourra sortir de cette forteresse en béton.
L'importance de la recherche
Quatre enfants sur cinq ne font pas de rechute dans les cinq ans qui suivent leur hospitalisation, même si certains garderont, toute leur vie, de lourdes séquelles. Et puis, il y les cas plus compliqués, ces cas que les médecins ne peuvent pas guérir, comme certaines tumeurs au cerveau par exemple. Dans cette lutte contre le cancer, contre l’injustice, les efforts de recherche ne doivent jamais se relâcher d’autant que les cancers de l’enfant sont considérés comme des maladies rares.
Sur la façade de l'Institut, le visage d'un petit garçon est affiché en grand. C'est Noé. Il a succombé à son cancer en 2014, à 10 ans. Depuis, son père se bat pour récolter des fonds pour la recherche à travers la campagne "Guérir le cancer de l'enfant au 21e siècle".
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